Le recours à l'imagination est donc indispensable pour combler les lacunes de la documentation. Contrairement à une opinion généralement partagée, l'imagination n'est pas un dévoiement de la méthode historique, mais son essence même. Elle seule permet de relier les documents entre eux pour établir les faits ; elle seule permet de leur donner un sens plus global en les inscrivant dans un contexte. Réunir, trier, analyser les documents n'est qu'une première étape et la vérité est souvent fuyante. Elle ne tient quelquefois qu'à d'infimes traces de signes hiéroglyphiques d'interprétation difficile dans des inscriptions effacées ou surchargées. C'est avec ces vestiges à peine palpables que l'archéologie tente de faire surgir des événements dans lesquels l'Histoire puisera les matériaux nécessaires à ses analyses. Pour prendre une image plus moderne, la documentation archéologique est à l'histoire de l'Antiquité ce qu'un cimetière de voitures est à l'histoire de l'automobile. L'archéologue pourra établir la composition du parc des véhicules, constituer une typologie et assurer une chronologie. Avec les mêmes éléments, l'historien tentera en plus de reconstituer le statut sociologique des automobilistes et le code de la route. La part d'incertitude sera toujours considérable, les tâtonnements inévitables et les résultats provisoires. Quels que soient les efforts des spécialistes et la qualité de leurs méthodes, le passé reste imprévisible.
Introduction p. 10
La Malédiction de Toutankhamon.
La mort de Lord Carnarvon, le 5 avril 1923, fut une aubaine pour les journalistes qui y virent la légitime vengeance du pharaon contre l'injustice faite à la presse. Carter et Carnarvon avaient en effet donné l'exclusivité au Times de Londres pour la couverture médiatique de la fouille du tombeau, ce qui était un véritable affront pour les autres périodiques. Privés de nouvelles fraîches, ils trouvèrent là un moyen d'alimenter à bon compte les colonnes de leurs journaux avec des histoires fantastiques et macabres.
Le Figaro-Histoire, Hors-série, mars 2019.
En Egypte ancienne, la charge royale est essentiellement rituelle. L'administration et la politique étaient confiées à des fonctionnaires compétents et le roi ne s'en mêlait guère. Le souverain devait avant tout accomplir les rituels et oeuvrer à la construction et l'embellissement des sanctuaires. C'est, paradoxalement, la faillite du dernier aspect qui permit a posteriori de considérer Akhénaton comme un roi impie.
p. 317
La bénédiction de Toutankhamon.
La rumeur de la malédiction de Toutankhamon eut un effet secondaire extrêmement bénéfique pour les musées européens et américains. Nombre de possesseurs d'antiquités à l'authenticité variable imputèrent à la présence chez eux d'objets égyptiens les aléas et les petits ou gros malheurs de leur existence... Les musées reçurent, parfois anonymement, des pièces ensorcelées qui encombrèrent souvent plus les réserves que les vitrines ...
p. 47-48
Par ailleurs, si l'on fait le compte des adorations au disque solaire dans les tombes civiles d'Amarna, il est symptomatique de constater que seuls les notables d'Amarna adressent des prières à Aton. Le roi est, comme le disque Aton lui-même, totalement muet. En revanche, il agit et il est le seul à consacrer les monceaux de victuailles accumulés sur les autels. Aucun particulier n'était apparemment autorisé à pratiquer quelque rituel que ce soit pour le dieu. Les récentes fouilles dans le grand temple d'Aton en apportent une confirmation éclatante. (...)
La séparation est donc très nette : les contemporains du roi adressent des prières au roi et au disque solaire et le roi accomplit des rites, sans, a priori, adresser un seul mot à son dieu. Il est certain, désormais, que le grand hymne à Aton; gravé dans la tombe d'Aÿ, est une composition d'Aÿ lui-même, qui fait, d'ailleurs, le pendant d'un hymne au roi sur la paroi opposée.
p. 318
Cette union entre un frère et une soeur utérins était, malgré les idées reçues, plutôt rare dans la famille royale de la XVIII° dynastie. On a supposé que cette forte consanguinité était responsable de la stérilité du couple dont la fertilité potentielle ne dut être effective qu'aux alentours de l'an V, alors que le roi avait atteint la puberté. L'idée selon laquelle une importante endogamie produirait nécessairement des accidents de grossesse, des désordres congénitaux et, en fin de compte, des "dégénérés", "tarés" et autres "fins de race", est plus liée aux tabous de notre société qu'à de réelles observations scientifiques et il faut se garder de tirer des concluisons abruptes sur les conséquences obstétriques de cette union entre Toutankhamon et sa soeur.
p. 350