Plus encore que la chute du mur de Berlin, Tchernobyl est pour moi le vrai symbole de la chute de l’URSS. Et, je ne suis pas le seul à penser cela. C’est tout un peuple qui voulait le changement.
Igor Kostine
Les maisons abandonnées s’effritent, et s’effondre, très rapidement. Quand une maison, même une très vieille maison, est habitée, elle tient debout. La force de l’homme se transmet à la maison.
La monstrueuse machine de ce qu’on continue d’appeler sobrement la « liquidation de l’accident de Tchernobyl » se met en branle. Le pays entier envoie à Tchernobyl des vêtements de protection, des vêtements blancs. C’est une armée de fantômes qui s’affaire autour de la centrale. Le blanc me frappe car, en Union soviétique, il existe alors un système hiérarchique très puissant et très strict. Et pourtant, à Tchernobyl, tout le monde est en blanc : ministres, généraux, soldats. Nos vies sont bouleversées. Les repères sont incertains. La vraie nature des hommes se révèle ...
La radioactivité est invisible, inodore, incolore. En Afghanistan où au Vietnam, les soldats couraient le risque de prendre une balle, la douleur serait immédiate, terrible, elle pouvait tuer sur le coup, mais au moins on savait. Pas à Tchernobyl.
L'humour et la bonne humeur sont nos meilleures armes. Elles l’ont toujours été ici. Avec les liquidateurs, l’ambiance était joyeuse, détendue. Nous faisions des blagues sans arrêt, comme si la catastrophe dans laquelle nous étions plongés n’existait pas vraiment, comme si tout cela n’était qu’une vaste plaisanterie.
Nos centrales nucléaires ne présentent aucun risque. On pourrait les construire même sur la place Rouge. Elles sont plus sûres que nos samovars.
L’académicien Anatoli Alexandrov
Nous étions en guerre contre les radiations. La guerre classique implique que tu sais d'où peut venir la balle qui va te tuer, et que tu peux te cacher derrière un rocher ou dans une tranchée. Mais à Tchernobyl, aucune tranchée, aucun char pour te protéger, l'ennemi est partout, rien ne l'arrête. Tu es touché par des milliers de balles et que tu ne sais pas qui te tire dessus. Tu ne sais pas si tu es blessé, ni à quel endroit, ni à quel point. Alors tu continues à avancer.
Plus tard la peau commence à perler. Les chairs se nécrosent. Les os pourrissent. Et il n'y a aucun traitement possible. On a dit aux gens que tout était contaminé, que la radioactivité était partout. Mais ils ne l'avaient jamais vue, jamais touchée. Et pour cause. Cela ne signifiait rien pour eux.
"Tous les jours, nous recevions les journaux. Je me contentais de lire les titres : "Tchernobyl, lieu d'exploit", "le réacteur est vaincu", "la vie continue". L'adjoint politique de notre unité organisait des réunions et nous disait que nous devions vaincre. Mais vaincre qui ? L'atome ? La physique ? L'univers ?"
Arkadi Filine, liquiditeur
Pour nettoyer les toits, on avait d'abord essayé d'utiliser des robots ouest-allemands, japonais et soviétiques, mais leurs systèmes électroniques disjonctaient rapidement, à cause du niveau de radiations extrêmement élevé. C'est d'alors que la décision fut prise d'utiliser des hommes. Conscients de leur sacrifice, ces liquidateurs se présentaient eux-mêmes comme le "robot Pétia", le "robot Vassia"...
mais c'est Tchernobyl qui a changé ma vie, qui a fait de moi une autre personne. Aujourd'hui, j'ai beaucoup de mal à vivre avec les autres. Je ne comprends pas ce qui les préoccupe : le salaire, le quotidien, leurs petites affaires sentimentales. A côté du malheur que j'ai vu, ce n'est rien. Cette catastrophe m'a moralement transformé. Elle m'a purifié, nettoyé. Après Tchernobyl, j'étais comme un nouveau-né ...