Je pleurais. Mon enfance à nouveau s'éveillait, et je la voyais comprimée en une seule image devant mes yeux. Je voyais l'hospice et la pauvreté de ma jeunesse, je voyais la haine et le dégout de la pauvreté grandir avec moi. Je me voyais en patron d'usine, devant qui tremblait la cohorte des ouvriers que je haïssais parce qu'ils étaient pauvres et que je méprisais parce qu'ils étaient sans pouvoir.
J'ai toujours été petit, maigre, chétif, mon visage avait une invariable pâleur de cire, mes épaules étaient si hautes que je pouvais donner l'impression d'une légère difformité, des cernes bleu sombre bordaient en permanence mes yeux, mes os et mes articulations étaient et sont aujourd'hui encore délicats.
S'étonne-t-on que malgré cela je haïsse toute faiblesse ? N'est-il pas vrai plutôt que, dans le fond de son cœur, on ne saurait rien tant haïr et mépriser que soi-même et sa propre image ?
Il faut se remémorer ses pensées et ses fautes, car elles ne sont jamais disparues et jamais expiées. On ne peut que les supporter jusqu’à la fin.
J'étais heureux quand l'officier me donnait un ordre, à moi directement. Car tout ici respirait l'obéissance, tous en étaient pétris. Et c'est alors seulement, quand l’œil d'un supérieur se posait sur moi, quand je me tenais au garde-à-vous devant lui, prêt à exécuter son ordre, oui, c'est alors que que je sentais monter en moi, cuisante et grisante à la fois, la jouissance d'obéir.
Elle s’approcha très près de lui. Il vit qu’elle était devenue large et grasse. Ses seins pendaient. Sur ses joues il y avait de petits poils bruns. Il sentit son haleine chaude. Ses seins sous sa blouse lâche touchaient déjà son corps. Il leva les mains pour s’en défendre, mais ses doigts s’enfonçaient dans cette lourde masse de chair. Et ce soir il réussit.
Il voulait tout classer, rattacher chaque effet à sa cause, car à l’heure présente il n’y avait pas d’ordre, chaque instant apportait de l’inattendu. Il n’était pas possible d’être prêt, d’échafauder une règle à laquelle on se serait accroché.