J'ouvre et je trouve sur le pallier mes voisins, deux vieux célibataires à la mine sévère. Ces deux fonctionnaires retraités ont une solide réputation de grincheux.
- Toutes mes excuses. Je suppose que vous venez vous plaindre du bruit...
- Pas du tout, répond le plus bougon des deux. Nous venons nous plaindre du tempo.
C'est comme ça, à Düsseldorf. Vous êtes en train d'interpréter une sonate de Beethoven et, tout à coup, deux vieux ronchons, de quasi-inconnus, viennent vous signaler que, selon eux, vous la jouez mal.
Très bel homme, un séducteur. Grand, blond, des yeux comme des saphirs.
Cette description me rappela aussitôt l'inconnu que j'avais vu la veille dans la loge du chef d'orchestre.
- Je pense avoir rencontré ce jeune homme hier soir, après le concert. Vous vous souvenez de son nom ?
- Bien sûr. Johannes Brahms. Croyez-moi, c'est un nom à ne pas oublier !
- Regardez-moi cette maison ! C'est un lieu de désolation, balayé par le vent du désespoir et de l'incurie !
Papa médita un moment sur ces paroles, puis hocha la tête d'un air approbateur.
- J'aime beaucoup, Emma... Oui, vraiment, ça me paraît merveilleux.
Maman dévisagea son mari, incrédule.
- Tu aimes cette maison ?
- Non, non, s'empressa de répondre papa. Je veux parler de cette phrase, de la façon dont tu viens de t'exprimer.
Il s'interrompit pour contempler le plafond qui menaçait ruine.
- Ah oui, "un lieu de désolation... balayé par le vent du désespoir et de l'incurie"...
Il s'excusa et courut à sa table de travail pour noter dans son petit carnet déchiré les mots que venait de prononcer ma mère.
Bondissant à sa poursuite, celle-ci continua à crier de toutes ses forces :
- Wolgang, écoute-moi, notre famille ne peut pas rester suspendue au-dessus du gouffre, en s'agrippant du bout des doigts à tes ambitions ! Tu entends ce que je te dis ?
- Je t'en prie, Emma, je t'en supplie, parle moins vite. Je n'arrive pas à tout écrire. Peux-tu répéter, à partir de 'en s'agrippant" ?
Et voilà comment notre vie se passait : ma mère glapissait des phrases dignes d'un livre, qui semblaient lui venir naturellement ; mon père se berçait de l'illusion qu'il était le seul lettré de la famille, alors qu'il était de moins en moins capable de distinguer entre fiction et réalité.
Vous vous rappelez, maestro, qu'une famille du nom de Steinweg -un père et deux ou trois fils- était devenue très réputée pour sa fabrication d'excellents pianos dans les environs de Hambourg. Eh bien, cette famille a récemment émigré vers les États-Unis d'Amérique, vers New York, et y a établi une fabrique de pianos. Apparemment, les Américains sont de plus en plus civilisés, et surtout riches ; ils adorent orner leurs salons des meilleurs instruments. Les Steinweg ont changé leur nom en Steinway, sans doute pour mieux se fondre dans la haute société new-yorkaise.
Les mauvaises langues disaient vrai, constatait Maximilian en suivant dans l'entrée son professeur de piano, au matin de sa première leçon. Cette maison avait tout d'un cendrier géant. Un cendrier vide-poches, d'ailleurs, et ce n'était pas seulement une affaire d'odorat.
Alors, c'est bien vrai, finalement, marmonnai-je pour moi-même, la plume est plus puissante que l'épée..
Pour être franc, je me fiche de ce que Wagner compose des opéras ou des berceuses. Maintenant que j'y pense, en ce qui me concerne,ces musiques sont aussi soporifiques l'une que l'autre.
La symphonie en ré mineur s’ouvrait avec les soupirs des cordes, l’orchestre exprimait un vague désir, évoquant l’automne, la fin d’une année de plus dans la vie du compositeur. Le second mouvement, enchaîné sans interruption, commençait par une mélodie plaintive du hautbois, au rythme mélancolique. Toujours sans interruption, un scherzo plein d’entrain promettait de dissiper l’humeur sombre des deux premiers mouvements.
Oui, Brunner, dis-je en reprenant le mot pour le ranger dans le dossier. Seule une personne pourrait avoir écrit ce mot... Hershel Socransky, alias Henryk Schramm... L'homme que j'appelle désormais le maître chanteur de Minsk.
Page 306 : … Vous vous rappelez, Maestro, qu’une famille du nom de Steinweg – un père et deux ou trois fils – était devenue très réputée pour sa fabrication d’excellents pianos dans les environs de Hambourg. Eh bien, cette famille a récemment émigré vers les Etats-Unis d’Amérique, vers New York et y a établi une fabrique de pianos. Apparemment, les américains sont de plus en plus civilisés, et surtout riches : ils adorent orner leurs salons des meilleurs instruments. Les Steinweg ont changé leur nom en Steinway, sans doute pour mieux se fondre dans la haute société new-yorkaise.