Quant aux hommes bien posés, aux cheikhs surtout, laisser là leurs anciennes femmes et passer à de plus jeunes est leur coutume courante; autrement, ils ne seraient pas musulmans.
p.113
Un pauvre bédouin s'était joint à nous dans la plaine; il nous suivit, poussant son âne, et il fut tout heureux de recevoir de mes mains, pour son déjeuner, une poignée de dattes de Teyma.
(...) à cette école d'observation humaine infinie, ils apprennent à tenir des propos opportuns. Celui-ci émaillait les siens de dictons, cette sagesse de l'illétré
Un ambassadeur, disait-il, est un homme envoyé mentir à l'étranger pour son pays.
Zeyd était un cheikh du désert, basané et même presque noir, de taille et d'âge moyens; son rude visage portait la trace des morsures de la faim. Un teint si sombre ne plaît pas aux Arabes qui, dans ces hauts pays, sont plus rougeâtres que bruns. Il croient que le noir indique le sang vil des races d'esclaves; aussi, à leurs yeux, tout ce qui est crépu et annelé passe-t-il pour une difformité. On se rappellera, à ce propos comment, dans le Cantique des Cantiques, l'amante excuse le teint basané de sa beauté: "Je suis noire, mais je suis belle, fille de Jérusalem, comme les tentes du bédouin, comme les tapis de Salomon". Le noir, privation de lumière, c'est la teinte de la mort (mawt-el-aswad) et, par analogie, celle des calamités et des maux: le coeur de l'insensé ou du méchant est réputé noir (kalb-el-aswad).
pp. 74,75
Les bergers se mettent en route; les femmes du harem (pluriel de horma, femme) prennent place sur leurs montures avec leur bagage.
p.92
Les Sémites n'ont pas de place pour les demi-tons, pour les nuances, dans la portée de leurs regards. Ce peuple s'en tient aux couleurs primaires, spécialement au noir et au blanc ; il voit toujours le monde sur une ligne droite. peuple rempli de certitude, méprisant le doute, cette moderne couronne d'épines des autres hommes. Un sémite ne saurait comprendre nos difficultés métaphysiques, les questions que nous nous posons à nous-mêmes. Il ne connaît que ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas, ce qu'on croit et ce qu'on ne croit pas ; toutes nos hésitations, nos réserves, nos distinguo lui sont étrangers.
[...]Leurs pensées passent avec la plus grande facilité d'un extrême à l'autre. Ils se meuvent spontanément dans les superlatifs.[...] Ils excluent tout compromis et poursuivent la logique de leurs idées jusqu'à l'absurde, sans voir rien d'incompatible entre leurs conclusions opposées.
[...)Leurs convictions procèdent de l'instinct; leurs actes, de l'intuition. Ce qu'ils fabriquent le plus, ce sont les croyances. Ils ont monopolisé les religions révélées, découvrant toujours un antagonisme entre le corps et l'esprit, et plaçant l'accent sur l'esprit.
Introduction de T.E. Lawrence (1921).