Sa peau est comme le soir sur l’horizon à l’est,
Oh ! ne voyez-vous pas, ne voyez-vous pas.
Sa peau est comme le soir sur l’horizon à l’est
… Quand le soleil descend.
Les hommes l’avaient toujours désirée, cette Karintha, même tout enfant, Karintha porteuse de beauté, parfaite comme le soir quand le soleil descend. Les vieux la faisaient sauter à cheval sur leurs genoux. Les jeunes dansaient avec elle au bal au lieu de danser avec les filles de leur âge. Dieu nous prête jeunesse ! priaient en secret les vieux. Les jeunes garçons comptaient le temps qu’il leur faudrait attendre jusqu’à ce qu’elle fût d’âge à s’accoupler avec eux. Cet intérêt du mâle, qui veut faire mûrir trop tôt une chose qui grandit encore, ne pouvait rien présager de bon.
Karintha, à douze ans, était un débordement sauvage qui faisait voir aux autres ce que c’est que vivre au juste. Au soleil couchant, les jours sans vent, quand la fumée de pin qui venait de la scierie restait plaquée au sol, et que l’on n’y voyait pas à plus d’un mètre, elle passait tout à coup près de vous comme une flèche, et c’était un peu de couleur vive, un oiseau noir resplendissant dans la lumière. Quand c’étaient les autres enfants, on entendait de loin le bruit étouffé de leurs pas dans la poussière épaisse. Quand Karintha courait, c’était comme un bruissement d’ailes, ou celui de la poussière rouge qui fait parfois des spirales sur la route. Le soir, à l’heure du silence qui suit la fermeture de la scierie, et avant que les femmes ne commencent à chanter en préparant le souper, sa voix aiguë, perçante, vous irritait les oreilles. Mais personne n’eut jamais l’idée de la faire taire pour autant. Elle lançait des pierres aux vaches, donnait des coups à son chien et se battait avec les autres enfants… Même le pasteur, qui la prenait en défaut, se disait qu’elle était aussi innocemment belle qu’une fleur de coton en novembre. Déjà on papotait sur son compte.