Je ne sais pas exactement quoi penser de ce roman. Non, ce n’est pas tout à fait vrai : en réalité, je suis déçue de ne pas l’avoir aimé comme que je l’espérais. Voilà.
D’un côté, j’ai constamment été absorbée par ma lecture qui s’est révélée parfaitement immersive. Le rapport au corps est prégnant tout au long du roman de toutes les façons possibles, ses besoins primordiaux, la sexualité, le handicap, des transformations surnaturelles, la maternité et la relation avec ses enfants… Le récit venant questionner notre rapport à la monstruosité et à la différence, j’ai apprécié le côté body horror avec lequel je ne suis pas forcément familière en littérature, l’idée de la symbiose fongique étant vraiment passionnante, et, au-delà des transformations du corps de Vern certes fascinantes, j’ai aussi trouvé son évolution très intéressante. Il y a quelque chose de viscéral dans cette histoire, où la vie, la nature, les désirs et les besoins sont montrés dans toute leur crudité, s’opposant aux considérations religieuses (croyances, existence du divin, notion de purification) du domaine qui a modelé l’enfance de Vern. Le corps se libère de la prison sectaire dans laquelle a été emprisonné son esprit ; Vern apprend peu à peu à s’accepter, à s’écouter et à sortir des préceptes coercitifs inculqués par des personnalités toxiques dans une communauté utopique pervertie.
La facette « nature writing » m’a également séduite et j’ai adoré ces pages dans la forêt qui, si elle se révèle parfois inquiétante lorsqu’on ne sait ce qui y rôde, se révèle surtout nourricière, protectrice et source d’épanouissement et de liberté, notamment dans le développement et l’éducation des jumeaux de Vern. Ce n’est pas un rapport où l’humain vient dominer la nature, la plier à sa volonté, il y a une véritable animalité, un retour à la terre qui rejoint aussi bien la question du corps que celle des métamorphoses de l’héroïne.
De l’autre côté, je ne sais pas si je vais le garder longtemps en mémoire. Je m’attendais à un roman extrêmement dur (et la longue liste de trigger warnings dans la note précédant le roman semblait me le confirmer) et intense, une lecture qui bouscule, mais finalement, ce n’est pas ainsi que j’ai ressenti les choses. Comme s’il m’avait manqué une profondeur qui aurait fait de cette histoire une lecture susceptible de se graver dans ma mémoire et dans mon cœur. Le tout reste divertissant jusqu’au bout, mais s’essouffle tout de même, oubliant la tension et le sentiment d’urgence qui nourrissait le début du roman au profit de raccourcis et de révélations qui, manquant légèrement de cohérence ou de crédibilité, finissent par tomber un peu à plat, nuisant au discours sur la défiance envers les autorités quelles qu’elles soient et les manipulations des minorités…
Un roman qui ne manque pas d’atouts et de bonnes idées, mais qui, dans sa réalisation, manque de puissance. Rivers Solomon a peut-être voulu caser trop de choses dans son récit – même si l’écriture fluide fait que je ne l’ai pas ressenti ainsi au moment de la lecture –, ce qui dilue peut-être l’efficacité émotionnelle et l’intelligence de certaines idées.
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