On s'étonnera sans doute qu'en comparant l'animal à l'homme je trouve constamment l'animal moins stupide. Et, en effet, à un premier examen superficiel, on serait tenté de croire que l'intelligence de l'homme est incomparablement supérieure à celle de l'animal.
Mais il faut s'entendre. Stupidité ne veut pas dire qu'on n'a pas compris, mais qu'on agit comme si l'on n'avait pas compris.
Savoir ce qui est bien et faire ce qui est mal ; s'infliger de la douleur en sachant qu'on va s'infliger de la douleur; connaître la cause du malheur et se précipiter sur cette cause, c'est être stupide. Passe encore quand on est victime d'une aveugle passion ; car la passion est un torrent qui entraîne tout. Mais, quand on va droitement au malheur, pour obéir à des préjugés, des erreurs, des raisonnements défectueux et baroques, on est inexcusable. Mieux vaut être dépourvu d'intelligence que d'en faire un si déplorable usage.
Le fils d'un roi, le fils d'un gentilhomme, le fils d'un riche, n'ont encore donné, quand ils sont dans le ventre maternel, ou même dans le maillot de leur nourrice, aucune preuve de supériorité. Quelque large part qu'on accorde à l'hérédité de l'intelligence, on ne pourra attribuer qu'une mince supériorité au fils du gentilhomme et au fils du milliardaire, sur le fils du laboureur ou le fils du loqueteux. C'est violer outrageusement la bonne et due justice que de mettre entre les deux fœtus un fossé profond, de donner tout à l'un et rien à l'autre.
Persécuter Galilée parce qu'il dit que la terre tourne, cela dénote quelque intelligence, mais une intelligence viciée, infiniment plus viciée que celle d'un requin. Le requin affamé se précipite brutalement sur le premier objet qu'il rencontre; mais jamais un requin ne sera assez bête pour traiter Galilée de misérable.