AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Bouteyalamer


Un voyageur anonyme explore la contrée d'une culture figée, de longue tradition, un monde d'hommes, de bibliothèques et de bâtiments d'une sévérité cistercienne, de voyageurs à pied ou de pèlerins — encore qu'il n'y paraisse aucune trace de religion. C'est un monde où les statues naissent et bourgeonnent spontanément, aidées dans leur émergence par les jardiniers, des statues parfois malades et qu'il faut alors confiner et jeter dans un gouffre au terme d'un périlleux voyage. le peuple des jardiniers est masculin. Il consacre sa vie aux statues et à la rédaction des chroniques de leur naissance, de leur style ou de leur monstruosité, et dans le dernier cas, celles de leur élimination. Ces chroniques sont régulièrement mises à jour, échangées et complétées d'un domaine à l'autre. Chaque domaine évoque l'organisation aussi bien idéale qu'utilitaire de Claude-Nicolas Ledoux et l'on comprend que Schuiten, l'homme de l'architecture des villes imaginaires, soit l'illustrateur d'Abeille.

Le roman est constitué d'un seul chapitre de 572 pages. Les 200 premières pages sont la description anthropologique de ce peuple dont les hommes et les femmes sont strictement séparés dans le travail diurne, les femmes résidant avec les jeunes enfants dans un gynécée abrité par un labyrinthe. L'exogamie est strictement appliquée, les adolescents et les filles nubiles étant échangés de domaine en domaine. Tous les personnages sont anonymes — les jardiniers, le guide, le doyen, l'aubergiste, à l'exception d'une femme, Vanina, dont la rencontre et l'amour sont soudains. Après la découverte de Vanina, une action lente apparaît avec l'expédition du voyageur jusqu'aux steppes du nord, la rencontre d'une guerrière (« Sous la couverture, son corps, dur et cuivré, n'était vêtu que d'un baudrier qui lui glissait entre les seins. Seins droits, demi-sphères parfaites, qui me tenaient sous leur fixité inintelligible. Je crus voir la mort même et me sentit calme, car enfin elle était belle. le mouvement par lequel ses bras avaient défait le manteau de ses épaules s'achevait. Une main relevait l'arc qui était pendu à l'arçon de sa selle tandis que l'autre ramenait de derrière son épaule une flèche puisée au carquois que le baudrier fixait à son dos. Les deux objets se joignirent tandis qu'elle cambrait les reins et bandait l'arc » [p 283]), celle d'un prince et du gardien du gouffre.

Le travail d'imagination est exceptionnel. L'écriture vise une neutralité classique, un style poli, savant, pensif (« Ne t'est-il jamais arrivé de découvrir quelque chose de très beau, et, soudain, de souffrir très fort, et si vite que tu t'en aperçois à peine, parce que ce fragment de beauté que tu contemples, tu devrais le partager avec quelqu'un et qu'il n'y a que l'absence ? » [p 365]), parfois cérémonieux, rarement lyrique. La syntaxe et le vocabulaire sont volontairement surannés, la lenteur, la précision et la civilité évoquent Julien Gracq et parfois le Saint-John Perse d'Anabase (« Les nuées de sable, un instant soulevées, s'abattirent et ce fut comme un coup de cymbales sur les voûtes de l'espace. Un ciel bleu de fable tombait roide sur l'ossuaire serti d'ocre et de mauve de la cité morte. J'eus un vrai sursaut devant tant de splendeur » [p 319]). Il est surprenant qu'Abeille ait été si longtemps ignoré et je remercie Henri l'Oiseleur de me l'avoir fait connaître.

Commenter  J’apprécie          81



Ont apprécié cette critique (8)voir plus




{* *}