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Critique de Antyryia



Qu'est-ce que j'ai bien pu raconter ce soir là ?
Tout ce dont je me rappelle, c'est que j'étais au téléphone et que j'ai longuement discuté avec différentes personnes. Mais le lendemain matin, mes paroles comme celles de mes interlocuteurs avaient définitivement sombré dans un gigantesque trou noir, une dimension parallèle à jamais inaccessible.
C'est la seule amnésie dont je me souvienne. Si jamais bien sûr on peut se souvenir d'une amnésie.
M'a-t-on révélé un secret si terrible que mon esprit a préféré l'enfouir à jamais ?
Vu mon mal de tête le lendemain matin, je soupçonne davantage les ravages de l'alcool.

Zoé Letellier n'avait quant à elle pas bu une goutte quand sa vie entière a disparu. Elle a toujours ses acquis ( elle sait toujours parler, écrire, lire, se servir d'un ordinateur ... ). Mais au niveau des souvenirs personnels, c'est le néant absolu. Elle ne reconnaîtra pas ses parents quand elle se réveillera dans son lit d'hôpital. Pas plus que son frère jumeau Mathias ou sa grande soeur Lola.
Pire, elle ne reconnaîtra pas son propre visage dans un miroir, comme si elle le découvrait pour la première fois.
"Je m'appelle Zoé, j'ai trente ans et je suis atteinte d'amnésie rétrograde suite à un choc émotionnel."
Quel est ce choc qui a d'un seul coup effacé la totalité de son vécu ?
Quelle révélation a pu être ainsi rejetée en bloc par son esprit qui n'a trouvé que ce moyen de la protéger ?
Vaut-il mieux retrouver la mémoire ou tout recommencer de zéro ?
"Cette amnésie dont tu souffres, c'est sans doute ce qui pouvait t'arriver de mieux."
La question est purement rhétorique. Zoé n'a pas vraiment le choix. Elle doit réparer ce court-circuit qui l'a plongée dans les ténèbres. Parce qu'elle a quelques petits problèmes à résoudre rapidement.
- Elle se marie dans moins d'une semaine avec un homme dont, bien sûr, elle ignore tout désormais.
- Elle découvre qu'elle a un amant dans son entourage mais elle ne sait ni qui, ni pourquoi.
- Et elle apprend également que son éditrice attend d'urgence son second manuscrit après le succès d'Amères friandises, son premier roman devenu un véritable best-seller. L'apparent fichier de cette suite étant protégé par un mot de passe dont la jeune femme n'a évidemment aucune idée...
Et Zoé n'est pas encore au bout de ses surprises.
Pas facile de prendre sa propre vie en cours de route.
Alors chacun lui parlera tour à tour pour l'aider à déverrouiller cette mémoire scellée. Ses parents, son frère, sa soeur, sa meilleure amie ou Julien le fameux fiancée évoqueront un passé personnel ou commun, en profitant parfois pour embellir un peu le rôle qu'ils y ont joué. Les fragments d'histoires s'additionneront les uns aux autres, pas toujours de façon très logique. Les jours passeront, et le compte à rebours vers le jour du mariage est en marche.
"Jusqu'où suis-je prête à aller pour connaître la vérité ?"

Barbara Abel n'a pas écrit que des thrillers psychologiques. Quand elle a quitté les éditions du masque pour rejoindre celles du Fleuve noir, elle a d'abord écrit deux romans un peu différents, qui s'intercalent entre Illustre Inconnu et le célèbre Derrière la haine. le premier, le bonheur sur ordonnance ( 2009 ), était une comédie qui offrait entre deux moments cocasses des pistes de réflexion sur l'accession à la félicité personnelle et qui mettait en scène une femme littéralement condamnée à être heureuse sous peine de mort.
Et le second, écrit un an plus tard, c'est celui-ci : la brûlure du chocolat. Il évoque principalement l'importance des souvenirs et de la mémoire dans la construction de soi, la quête de sa propre identité. A nouveau des thèmes sérieux mais racontés au travers d'une histoire totalement farfelue.
Difficile de le classer dans une catégorie. Thriller, comédie, soap opéra, drame, essai, autobiographie ? Plusieurs genres ici s'entremêlent mais ce qui est sûr en revanche, c'est qu'il y a bien la touche Barbara Abel. Une écriture reconnaissable en quelques lignes seulement et une nouvelle histoire de famille pas comme les autres. Familles qui ont toujours été le terrain de jeu favori de l'auteure belge, et cette fois c'est à celle des Letellier qu'elle s'attaque. Comme tant d'autres elle a des failles que ses membres s'efforceront de dissimuler tout en embellissant une vérité qui n'existe que dans leur imaginaire.

Thriller policier non en tout cas. Pourtant tous les ingrédients sont là : Un choc psychologique d'une telle ampleur que son raz-de-marée emporte avec lui la totalité des souvenirs de Zoé, une famille aux petits secrets tellement nombreux qu'il va falloir - tant pour Zoé que pour le lecteur - les résoudre les uns après les autres pour voir la tragique vérité émerger progressivement. le suspense et les rebondissements sont nombreux pour parvenir aux ultimes révélations. le roman est construit comme les horreurs domestiques que sait très bien concocter Barbara Abel par ailleurs, mais ici vous n'avez pas d'éléments comme le meurtre, l'enlèvement ou la vengeance. En revanche, la manipulation est bien présente. Comment ne pas refaçonner à son avantage les souvenirs de quelqu'un qui n'en n'a plus aucun ?

Autobiographie non plus et pourtant ... On retrouve un peu de Barbara Abel dans le personnage de Zoé Letellier. C'est celle-ci qui parle tout au long du roman, qui apostrophe régulièrement le lecteur comme pour le prendre à témoin.
"J'aurais du écrire des romans policiers" : L'auteure véritable n'en profite-t-elle pas pour nous faire un clin d'oeil au passage ?
Et ça n'est pas tout. Abel et Letellier partagent un même signe zodiacal ( elles sont toutes deux sagittaires ), ou un même éditeur ( ou presque : l'une est au fleuve noir, la seconde chez ... rivière rouge ).
Il y a donc une sorte de mise en abîme, comme si Barbara Abel nous invitait à la retrouver parfois au travers de la narratrice Zoé, les deux se confondant parfois.
"Admirons au passage l'étonnante originalité des dialogues."
Et la mise en abîme ne s'arrête pas là. On sent que l'auteure s'est vraiment beaucoup amusé lors de cette rédaction, tant avec les mots que d'un point de vue stylistique.
Parce qu'au-delà de cette première identification, il y en a une seconde entre Zoé et Mélanie. Mélanie étant l'héroïne d'Amères friandises, le roman écrit par notre amnésique, qui tentera de retrouver la mémoire en lisant et découvrant son propre roman qui de toute évidence parle d'elle. Mais comment distinguer les éléments autobiographiques intégrés à son propre livre des pures inventions ?
La brûlure du chocolat est également un livre dans lequel on ressent tout l'amour de Barbara Abel pour la langue française.
"Elle se joue de nous au travers des lapsus et des jeux de mots par exemple."
C'est sans prétention mais les jeux de mots y sont nombreux et on sent que l'auteur s'est amusée dans la construction de ses phrases, dans la manipulation du vocabulaire.
"Et que dans un texte, une coquille sans son q, c'est un peu comme une couille dans le potage."
Elle joue avec l'intonation et la signification des mots, et fait par exemple d'étranges parallèles entre des noms qui se ressemblent mais qui à une lettre près changent totalement de sens. Embrasser, embarrasser et embraser en étant les principales illustrations.

L'humour du roman est en partie du à cet aspect, à cette plume qui joue avec les double sens, habile avec les mots, complice avec le lecteur.
"Ma fille a perdu la mémoire, on ne vous l'aurait pas rapportée par hasard ?"
On s'amuse aussi des réactions de certains personnages stéréotypés. Il est totalement inconcevable pour certains membres de la famille que le mariage n'ait pas lieu, peu importe que leur fille n'ait plus le moindre souvenir de l'homme qu'elle doit épouser. de même, il est impossible que l'information relative à l'amnésie de Zoé filtre auprès du public pour ne surtout pas remettre en cause la sortie de son second roman sur lequel des producteurs ont déjà réglé les droits d'une future adaptation cinématographique. Ce qui donne bien sûr droit à des scènes délirantes et décalées. On s'amuse des déboires, des réactions et des quiproquos de chacun.
Mais à l'image du titre ( qui trouvera son explication dans les dernières pages ), on est dans un roman doux amer, l'auteur joue avec nos émotions et on passe très facilement du rire aux larmes, de la comédie à la tragédie. Parce que Zoé n'est pas la seule à être bouleversée par ce qui lui arrive. Pour le fiancé c'est terrible également : Il se retrouve du jour au lendemain avec une bien aimée qui ne se rappelle plus de ce qu'ils ont vécu ensemble, de leur premier rendez-vous, des sentiments qu'ils sont censés partager et qui ont disparu. On rit certes mais le fonds du sujet demeure sérieux et la souffrance transparaît également. Les personnages veulent se racheter. Les erreurs commises sont légion. Mais vaut-il mieux saisir cette opportunité et tenter de tout recommencer ou affronter des vérités si tragiques que l'une d'entre elles a créé cet électrochoc ?
On oscille vraiment entre drame et comédie, en fonction des passages, des personnages et de l'angle sous lequel on choisit d'aborder ce mélodrame.

"Beurk ça pue le roman à l'eau de rose."
Au moins elles en sont conscientes ...
Parce que c'est la que le bât blesse. Les révélations sont d'ordre sentimental en grande majorité et je ne pensais pas lire uniquement des rebondissements dignes des feux de l'amour. C'est dommage parce que le fonds du sujet comme l'écriture étaient intéressants mais au final, tout ce que vous allez savoir c'est qui a couché avec qui. Parce que mis à part l'histoire du manuscrit perdu, absolument tout est d'ordre amoureux. le mariage aura-t-il lieu ? Lola va-t-elle divorcer ? Julien est-il le fils du facteur ? Comment Pamela va réagir en découvrant que son petit copain l'a trompé avec sa meilleure amie Jennifer ? Qui sont les vrais parents de Kevin, qui vient d'apprendre qu'il a été adopté ?
Et j'exagère à peine.
Alors je ne dis pas non plus qu'aucune de ces révélations n'est fracassante, mon côté voyeur a quant à lui été satisfait et j'ai lu certains de ces ressorts dramatiques avec un petit plaisir coupable. Simplement, c'est un peu trop ici et je pense qu'il y avait matière à explorer autrement le sujet de la mémoire.
De façon à ce que cette histoire loufoque, on puisse quand même y croire un peu.
Ici , si vous aimez le réalisme, passez votre chemin.
Peut-être qu'à l'image de Zoé, Barbara Abel avait elle aussi été pressée par son éditeur pour rendre son manuscrit ?

Mais bon, malgré tout, le roman se lit vite et bien, parvient à susciter quelques émotions et interrogations, et parfois c'est tout ce dont on a besoin quand on lit en mode détente.

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