En même temps, c’est quoi être comme tout le monde ? Si on en croit les professeurs, c’est faire toute une série d’actions, dans le bon ordre. Etre soit un homme, soit une femme, et se marier. Faire les courses. Avoir deux ou trois enfants. Les inscrire à l’école et leur acheter des livres. Travailler en même temps pour faire tout ça. Prendre un prêt bancaire pour avoir un appartement plus grand. Travailler plus, pour rembourser son prêt bancaire. Acheter une petite voiture. Voter. Marier ses enfants. S’occuper des petits-enfants. Mourir. Ne pas laisser de dettes en héritage aux enfants.
J'aimerais détacher mon regard de son corps flasque et gras mais je ne peux pas détourner les yeux. Je suis fascinée par tant de laideur. Il y a de l'attirance dans la laideur, comme il y a de la violence dans la beauté. On a beau vanter la dernière, et essayer de dissimuler la première, il n'empêche qu'on regarde tous avec avidité le moche, le gris, l'horrible. On le soustrait aux enfants pour ne pas culpabiliser de s'en délecter. Il suffit d'un ou deux malheurs, d'une tromperie, d'un adultère, d'un être informe, d'un nabot ou d'un manchot pour éveiller l'intérêt.
Mes enfants sont des imbéciles. Des demeurés. Des inconscients. Je ne sais s'ils manquent de maturité, d'intelligence ou simplement de bon sens. Ils doivent être limités. Intellectuellement parlant, s'entend. Parce que physiquement, j'ai l'impression que tout se passe bien pour eux. Et même trop bien. Il aurait mieux valu qu'ils soient handicapés, qu'ils aient par exemple tous les muscles du ventre jusqu'à l'extrémité des orteils paralysés. Ils feraient moins de conneries, ces imbéciles
Les hurlements sont une sorte de routine nécessaire au bon fonctionnement de la journée
Ça fait beaucoup d’actions, quand même. Je pense que c’est pour ça qu’il y a tant de gens qui ne sont pas comme tout le monde. Moi, j’aurais bien aimé suivre ce schéma-là. Contrairement à Mouna, j’aimerais bien entrer dans le moule. Le problème, c’est que j’ai l’air d’un petit vieux, et ça m’exclut déjà du monde normal. En plus, je n’ai pas de père. Deuxième anormalité. Et malgré tout, ma mère aime toujours mon père. Troisième anormalité.
En fait, ce n’est pas tout à fait vrai. J’ai bien un père, mais là, il achète des cigarettes. Il en achète sûrement beaucoup. Pour toute la vie, parce que ça fait quand même quatre ans qu’il est descendu en gandoura pour acheter juste un paquet de clopes, quelques minutes avant le dîner, un soir de ramadan. Il n’est jamais revenu. C’est pour ça que, lorsqu’on me demande ce que fait mon père, je réponds qu’il achète des cigarettes.
"Les papiches crient : papicha, papicha!
Et moi je cours, les cheveux dans le vent,
Le sourire aux lèvres, les ballerines par devant,"
Les arbres ne courent que derrière tes prunelles
Je préfère écouter les pierres se plaindre des pas qui leur manquent .
Le silence est trop pesant, il nous angoisse, nous donne l’impression qu’un drame est en train de se préparer. Les cris sont comme un protège-cahier : tant que quelqu’un crie, on est presque certain de ne pas avoir de problème
Je ferme les yeux pour ne plus voir les rues d'Alger la Blanche. Il n'y a guère que les étrangers pour s'extasier devant sa blancheur. Je ne vois plus la blancheur, la beauté ou la joie de vivre, mais uniquement les trous qui me font bondir de ma place, les pigeons qui lâchent leur fiente sur ma tête et les jeunes désœuvrés qui essaient de me tripoter au passage.
Avoir une belle secrétaire parlant un français irréprochable donne à l’entreprise un aspect respectable.