Citations sur Les Funambules (91)
Mais il y a quelque chose d'immense que je ne rretrouverai nulle part. Tout me semble doux chez cette femme, et son visage et ses mots. Et si, à cet instant, on m'avait demandé quelle était l'image de la sainteté, je l'aurais désignée. Le monde tourne â peu près grâce à des êtres comme elle.
"Oui, les associations caritatives sont très développées en France. Sans leur existence, il y aurait probablement plus de révoltes. On fait une part du travail des pouvoirs publics, même si l'état apporte une contribution importante avec les aides sociales."
J'arrive rue de Clichy. Je suis étonné : l'immeuble est tout beau tout neuf - on dirait une agence de publicité. Je n'imagine pas qu'une association caritative puisse être installée dans un endroit aussi chic, comme s'il fallait se montrer pauvre pour aider les pauvres. Le siège social des Restos ressemble à n'importe quelle entreprise dynamique. Le sourire de Coluche avec le slogan "On compte sur vous" s'affiche à l'accueil.
Je cherche un endroit où m'ancrer. Un territoire à moi.
Est-ce que quelqu'un sait à quel point ne pas savoir écrire est une souffrance ? Ma mère m'en parle, elle qui n'a jamais pu mettre noir sur blanc ses pensées. Ni une liste de courses. Même son prénom ou son nom.
Les gens précaires souffrent de ne pouvoir écrire, de ne pouvoir coucher leur récit sur du papier, de ne pouvoir en parler. Ils flottent, ils ne possèdent pas de généalogie, pas de traces, pas d'appuis, leurs familles sont le plus souvent disloquées. Il faut les aider.
Aujourd'hui, le grand médecin qu'il est devenu sait que raconter son histoire, si tragique soit-elle, participe à la reconstruction. Il sait qu'une fêlure ne se referme jamais. On met du baume dessus, des couches de protection pour ne pas imploser. On fait avec.
Ce n'est pas tant le malheur et la misère qui ont failli le tuer, mais le silence. Cette impossibilité de raconter, devoir mentir, cacher qui il est. "Je me taisais, je me taisais, et j'étouffais. C'est écrire qui m'a sauvé". Il me dit ces mots forts, comme ça, mine de rien : le silence est assassin.
D'ailleurs, c'est mon obsession, ça, quand je rencontre quelqu'un je me demande quelle est sa fêlure : c'est ce qui le révêle. Et dans ce domaine, il n'existe pas d'injustice, pas d'inégalité : chacun porte sa fêlure, les misérables et les milliardaires, les petites gens et les puissants, les employés et les patrons, les enfants et les parents.
Avec tout ça, je ne peux pas dire que j'ai été malheureux. Bien au contraire. L'enfance me protégeait de tout - se débrouiller pour manger était un jeu. Les cailloux et la poussière constituaient mon royaume. Je ne voyais pas le mal. Ni les humiliations.