Elle me fait rire, Annick, quand on commence à parler du bénévolat. Elle me dit : "C'est comme l'amour maternel : ça pousse au fur et à mesure du temps, ça ne prend pas forcément tout de suite."
Les bénévoles découvrent que les démunis ont d'autres besoins que de se nourrir ou de trouver un toit. Ils désirent être écoutés, ils veulent parler avec quelqu'un plutôt que de se retrouver toujours de l'autre côté d'un guichet en situation de quémander. Germain me regarde et me dit que l'aide à l'insertion est tout aussi importante que l'aide alimentaire. Que c'est le lien qui répare.
Une autre femme intervient et dit que la violence est liée à l'humiliation, à cette façon de nier une humanité. "Non seulement je n'ai rien, mais je suis réduite à rien.
Après sa déportation, Geneviève s'est toujours battue pour les autres. C'était peut-être sa manière à elle de panser sa fêlure.
Elle laisse une trace indélébile auprès d'ATD Quart Monde, qu'elle a dirigé avec sa voix douce et son énergie de tous les instants durant plus de deux décennies auprès de son fondateur, le père Joseph Wresinski, et après la mort de ce dernier. Elle avait quitté les ors du cabinet du ministre de la Culture de l'époque, André Malraux, pour rejoindre le mouvement de lutte contre la misère installé dans un bidonville, à Noisy-le-Grand. Elle a été à la pointe du combat qui a abouti à une loi pour lutter contre les exclusions et la grande pauvreté. Geneviève de Gaulle - Anthonioz avait également témoigné au procès de Klaus Barbie.
Geneviève de Gaulle - Anthonioz était la nièce de De Gaulle, mais cela n'intéressait pas vraiment Nadia. Elle évoquait plus souvent le passé de résistante de cette femme qui ne s'est jamais mise en avant. Elle appartenait au même réseau que celui de Germaine Tillion, le groupe du musée de l'Homme. Les deux amies avaient connu le camp de Ravensbrück après avoir été arrêtées par la Gestapo et emprisonnées à Fresnes. Des "souvenirs cauchemars", disait Geneviève. Nadia me parlait aussi de ce petit livre magnifique que la déportée avait écrit, La traversée de la nuit. Il faisait cinquante-neuf pages, avec une couverture grise. Cinquante-neuf pages lumineuses par l'espérance et la solidarité qu'elles dégageaient.
Je suis impressionné par ce qu'ATD à mis en place à Baillet avec le Centre international Joseph-Wresinski, du nom du fondateur. C'est un lieu de mémoire, d'archives et de collecte de témoignages sur la pauvreté. J'y vais aussi quand il y a des colloques.
Il n'y a pas forcément de joie à plonger dans l'existence d'un être. Les gens cabossés veulent panser des blessures profondes avec des mots. Or, parfois, ils ne font qu'ajouter â la fêlure. Écrire n'est jamais anodin. Il m'est arrivé de dissuader, quand ce n'était pas la personne elle-même qui décidait d'arrêter les dégâts. Le rapport à l'écriture est décidément compliqué. On perd toute distance. Certains en deviennent fous. Il faudrait que j'en parle à Jean-Patrick Spak. On n'écrit pas impunément.
J'endosse trop de vies. Porter le livre d'un autre c'est porter ses angoisses et ses malheurs. Et le pire, c'est porter ses espoirs. Je n'ai pas toujours ce courage.
"Pour Rousseau, l'homme sauvage, c'est-à-dire l'homme de la nature, tire de lui-même le sentiment de son existence, tandis que l'homme de la société a besoin de l'opinion des autres. Il ne peut avoir le sentiment d'exister sans les autres."