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Critique de berni_29


J'aime déambuler dans les détours et les contours qui mènent à l'oeuvre impressionnante de Marcel Proust. Je me suis dit qu'avant d'arpenter cette oeuvre gigantesque, démesurée, il me faudrait peut-être quelques clefs de compréhension.
Cela dit, j'ai lu il y a quelques années le premier tome d'À la recherche du temps perdu, du côté de chez Swann. Je m'y étais repris à plusieurs fois, parfois en y mettant de longues pauses, comme des respirations. Plusieurs années s'étaient écoulées dans cette tentative et puis, contre attente, cela vint un beau jour, je suis entré dans le récit, un peu comme un surfeur trouve la bonne vague et finit par s'y glisser. L'écriture de Proust, pour moi, c'est un peu cela, entrer dans sa vague...
Vous savez quoi ? À propos de Céleste Albaret, je me suis dit que cette femme, c'était la Félicité d'Un coeur simple, l'une des dernières nouvelles écrites par ce cher Flaubert, servante dévouée auprès de ses maîtres, presque dans l'abnégation. Ici Céleste Albaret, c'est un peu la même chose vis-à-vis de Marcel Proust, elle fut la fidèle gouvernante du grand écrivain, infatigable servante de ses jours et de ses nuits, surtout de ses nuits, mais aussi sa confidente...
Elle nous invite dans ce récit étrange peuplé de ses souvenirs, qui n'est pas une biographie, mais qui est sa parole, sa voix, un témoignage d'une tranche de sa vie, où elle entra au service de Monsieur Proust en 1913, quelques mois avant la Grande Guerre, et ce, durant huit ans, jusqu'à ce terrible jour du 18 novembre 1922.
Oui, je n'ai pas l'habitude dans mes chroniques de divulgâcher la fin des livres que je cite, cependant ici je dois vous avouer que le récit finit mal, par l'agonie et la mort de Marcel Proust où l'on ne peut rester indifférent aux mots épris d'émotion de Céleste Albaret pour évoquer ce dernier instant.
Mais qui était donc cette fameuse Céleste Albaret ? Elle est issue d'une famille modeste de paysans de la Lozère profonde et monte à Paris à la faveur d'un mariage avec Odilon Albaret, chauffeur de taxi qui a comme client régulier un certain Marcel Proust déjà célèbre. Ah, ce prénom, Odilon ! Comme il fleure bon le Paris d'avant, les rouflaquettes, les moustaches en guidon de bicyclette, les premières automobiles... Si un jour je me décide d'écrire un roman, je vous promets que le personnage principal s'appellera Odilon.
C'est par son entremise que Céleste entre au service de Monsieur Proust, à l'âge de vingt-deux ans pour s'établir dans l'appartement de l'écrivain, au 102 boulevard Haussmann.
Marcel Proust a beau être l'un des plus grands génies de la littérature française,- et je lui reconnais volontiers cette qualité, il n'en demeure pas moins que j'ai découvert ici un personnage fort peu sympathique, exigeant, capricieux, maniaque, jaloux, rancunier... Tout pour me plaire, mais les grands écrivains ne sont pas là pour nous séduire sur leur manière d'être... Ils ont un métier, celui d'écrire, de poser des émotions sur le papier, de nous transporter... Et puis, reconnaissons-le, à sa décharge, l'homme était d'une santé fragile, souffrant d'asthme, déjà affaibli par la maladie lorsque que Céleste entre à son service.
Céleste Albaret n'a pas écrit ce livre, bien que ce soient ses mots. Non, c'est un journaliste, un certain Georges Belmont, auquel elle livre ses souvenirs lorsqu'elle fut au service de Marcel Proust, témoignage recueilli quarante ans après et mis en forme par le journaliste. Georges Belmont, à qui l'on doit par ailleurs d'avoir interviewé Marilyn Monroe en 1960. Mais voilà que je m'égare, comme quoi on peut évoquer Marilyn Monroe et Marcel Proust dans le même billet !
Hum ! Mais qui est ce fameux Georges Belmont ? Si on creuse un peu, on découvre un type peu recommandable, secrétaire général adjoint à la Jeunesse au gouvernement de Vichy, qui lui valu de recevoir la francisque. Il fut, nous dit-on, "un rouage pro-nazi au verbe haut du gouvernement de Vichy". Découvrant cela, j'ai eu un bref instant une moue de dégoût en songeant que les mots que je lisais dans ce texte, étaient son écriture. Aïe ! Mais très vite je me suis laissé emporter par le flot époustouflant de la mémoire de la vieille gouvernante. Que nous révèle ce récit ? Céleste Albaret s'avère « prisonnière », recluse dans la solitude partagée avec l'écrivain dans cet appartement, lui inspirant plusieurs de ses personnages, comme Françoise, dans À la recherche du temps perdu.
Au départ du récit j'ai adoré cette seule escapade, à Cabourg, au grand-Hôtel, où Proust amène Céleste. Contemplant la mer, il lui promet de l'emmener un jour à la pointe du Finistère pour admirer la mer en furie dans le couchant du soleil. Quel homme inspiré pour inviter à un tel paysage !
Après le séjour à Cabourg, l'état de santé de Proust se dégrade et aucune sortie vers la mer ne se renouvèlera.
Après cette escapade, l'écrivain s'enferme dans sa chambre, derrière ses quatre murs immenses où il va continuer son oeuvre, abandonnant très rarement son lit devenu son bureau.
De temps en temps, la nuit il lui arrive de sortir dans Paris, mais fini Cabourg, finie la mer, finis les grands espaces.
Soumise à ses ordres et à ses appels, de jour comme de nuit, Céleste Albaret se plie à ses moindres désirs, ici apporter une bouillote, là plus tard faire du café, apporter des croissants... Toujours être présente... Et puis, l'écouter...
Céleste Albaret est une femme inculte, elle pensait que Bonaparte et Napoléon c'étaient deux personnages différents, mais elle est intelligente, fine, intuitive et généreuse, et cela en fait un personnage fort attachant.
Céleste Albaret a aidé Proust dans la rédaction de son oeuvre, imaginant des ingéniosités dans le besoin de corrections, inventant quasiment le Post-It avant l'heure...
J'ai vu ici combien Céleste Albaret a eu une place importante aux côtés de Marcel Proust. Elle fut sa seconde mère et, vous le savez comme moi, on ne dit pas tout à sa mère.
Céleste Albaret a veillé sur Proust jusqu'à sa mort comme on veille sur un enfant un peu fragile.
Marcel Proust lui évoque son enfance, sa jeunesse, ses amours, sa mère aussi...
Je m'attendais à quelques révélations étonnantes, ici il n'en fut rien. Céleste Albaret se contentant régulièrement de dire et contredire tel propos d'untel sur Marcel Proust. Ici j'attendais quelques révélations, ce n'est pas visiblement l'objet de ce récit.
Ainsi, Céleste Albaret a beau imposer sa vérité, elle ne révèle rien sur l'homosexualité possible de Marcel Proust, notamment sa relation avec Alfred Agostinelli, bellâtre rêveur et intelligent qui fut au départ au service de l'écrivain comme chauffeur de taxi puis comme secrétaire, il mourut tragiquement dans un accident d'avion. Marcel Proust ne s'en remit jamais.
Céleste Albaret n'a pas tout dit, car peut-être tout simplement Marcel Prout ne lui a pas tout dit.
On ne dit pas tout à sa mère...
Et puis tout de même, dans leur Dictionnaire amoureux de Marcel Proust, Jean-Paul Enthoven et Raphaël Enthoven ne confient-ils pas : "Telle est Céleste : on lui met des fleurs du mal sous les yeux, et elle ne voit que des aubépines" ?
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