Anne-Xavier Alberini a passé dix ans dans un asile psychiatrique. Dans cet ouvrage, elle nous ouvre les portes d'un milieu particulièrement glauque. Durant toutes ces années, partagée entre l'éducation de ses trois enfants qu'elle élève seule et son travail parmi les naufragés de la normalité qui ont échoué là, avec leurs chagrins, leurs espoirs dérisoires, leurs souffrances démesurées, leurs clowneries pitoyables, chaque jour passé n'est jamais identique à un autre. Pas de copier coller comme dans certains secteurs qu'elle envie bien souvent. Entre crises de démence, délires, rires sarcastiques et grognements gutturaux, elle tente de tenir le coup, s'accroche désespérément à la vie parfois ponctuée de sorties nocturnes avec son amie Cerise, histoire d'envoyer valser la folie derrière les barreaux, le long des couloirs, la peur de déteindre sur les aliénés. Vigilance ! Mot clé suspendu à son trousseau de clés déjà bien trop lourd des cellules. Enfermement, déraison, admission, restriction, l'odeur médicamenteuse s'imprègne partout, la poursuit, s'accroche à ses vêtements, ses cheveux, sa peau. Gouttes, pilules aux couleurs disparates pour chaque pathologie, l'appel est lancé pour la distribution comme à la criée aux poissons. Dépressifs, assassins, suicidaires, toxicos, le monde des hallucinés tourne sur lui-même, pareil à une toupie mal activée, entre les lignes crantées du malheur, de la folie emmurée.
Dans Journal fou d'une infirmière, Anne-xavier Albertin nous décrit avec justesse un univers impitoyable, dénonce certaines pratiques fallacieuses du personnel soignant par leur abus de pouvoir, son attachement à certains pensionnaires internés après avoir commis un acte répréhensible dans un moment de folie passagère dont l'histoire bouscule, perturbe, dérange le lecteur, l'émeut aussi.
Une plongée en apnée dans arcanes de la folie dont elle ne sortira pas indemne.
Une lecture opaque j'en conviens, mais ô combien passionnante.
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Le temps qu'on me prend, c'est le temps de mes jours, de mes jours qui n'ont qu'un temps ; et ce temps passe trop vite. Mon temps de vie, mon temps de rire, de penser, d'aimer, de choyer, d'être femme, de rêver. Ho ! Rêver ! Et l'on me prend mon temps contre un peu d'argent, mais si peu d'argent qu'avec cet argent, je ne peux acheter du temps.
Si peu d'argent que j'ai et tant de temps que l'on me prend que, l'argent devant, le temps derrière, je suis toujours écartelée, à court, épuisée. Mon temps et ma vie sont lies, et je donne ma vie pour un peu d'argent.
Je n'ai pas le temps de lire, ou pas d'argent pour acheter des livres.
Une enfance sans grand-mère, c'est n'avoir jamais bu l'eau fraîche d'un puits, un jour de canicule ; c'est n'avoir jamais marché dans un chant de lavande au mois de juillet. Une fête sans grand-mère, un Noël sans grand mère, c'est de la joie en demi-teinte. Une grand mère , c'est une cale si le frein lâche, c'est le dernier recours, le refuge. C'est une femme à qui l'on peut tout dire parce qu'elle ne se bat plus pour être une femme. Une grand mère, c'est la caverne d'Ali Baba.
Quand je regarde passer les gens, tous les gens dans la rue, un à un ou en foule, je les vois avec leur cage individuelle, leurs barreaux portatifs. C'est un ballet lugubre et triste comme un arbre brûlé. Il n'y a que les enfants qui n'en n'ont pas.. Mais plus tard ? Un barreau pour le société, un pour les conventions, un pour les principes, un pour les lois, un pour la religion, un pour ls intérêts, et çà va se multiplier, s'ajouter, s'épaissir, se joindre, se fermer. Fini le soleil, l'air, tout...
Dire que c'est avec des mots comme " la sécurité de l'emploi " ou encore " en cas de maladie grave vous êtes couverts " que l'on nous fait vivre dans un monde dément, et vivoter dans l'autre, l'extérieur, jusqu'à l'âge de la retraite.
Tout le monde ferme les yeux. Le Ministre de la Santé ferme même les oreilles à toute demande d'augmentation.
Un fou est un être humain, et l'idiot le plus profond reconnaît toujours sa mère.