Citations sur La langue maternelle (31)
Je me suis levé au bout d'un long moment. Les deux oiseaux étaient toujours là. Ils ressemblaient à ceux que j'avais vus avec ma mère dans un de mes rêves. Avant de m'en aller, je les ai priés de monter de temps en temps sur sa tombe et de balayer de leurs ailes la poussière qui s'accumule.
La seule chose qui me réjouit, c'est que j'ai la possibilité de t'appeler de temps en temps de mon bureau. Le téléphone entre timidement dans notre vie. Il est heureux qu'il ait tardé à se manifester, sans cela toutes ces lettres n'existeraient pas. Le retour au passé serait impossible. Voilà le tort que nous a fait le téléphone, il a désarmé notre mémoire.
Je pense que je ne connaîtrai jamais les hommes chauves-souris. Il est d'autres voyages que j'aimerais entreprendre et que, faute de temps, je ne ferai probablement jamais. Je commence à prendre congé des pays que je n'ai pas visités, des hommes que je n'ai pas rencontrés.
Je lis deux pages d'un livre, trois d'un autre. Je n'arrive pas à fixer vraiment mon attention. Je me promène sans but à la surface des choses. Mes voisins travaillent sur un mémoire, j'imagine. Je ne sais pas sur quoi je travaille. "j'apprends", pensé-je. Mais voilà que j'écris aussi, sur un sujet que je ne connais pas. Mon audace m'étonne. Je suis probablement influencé par les chauffeurs de taxi athéniens qui parlent de tout avec une grande aisance.
Nous sommes les enfants d’une langue… C’est cette identité que je revendique… J’écris pour convaincre les mots de m’adopter… J’essaie de retrouver l’odeur des premiers livres que j’ai jamais lus, La petite Poule et Les Trois Petits Cochons.
J'éprouvais une vive hostilité à l'égard des Grecques. Ne sachant pas à quoi attribuer l'attitude timorée de la plupart de mes compatriotes envers la junte, j'avais décidé que la faute en revenait à leurs mères. Je n'en voulais pas aux pères: seules les femmes à mes yeux étaient responsables. Je devenais fou de rage chaque fois que je voyais une mère gifler son enfant.
Les princesses des contes étaient très belles en général… J'ai peut-être la nostalgie de l'époque où de belles princesses habitaient mes nuits… Nous tombons amoureux de femmes lointaines, inaccessibles, irréelles. Je me souviens d'un gentil cheval blanc, d'une longue robe bleue brodée d'étoiles, de la porte de nacre d'un château… Nous aimons les femmes qui possèdent les clés de mondes fantastiques où les bruits les pus ordinaires ont une douceur particulière.
"Ce quartier n'est pas un endroit, ai-je pensé, c'est une époque. je traverse une époque." J'ai ressenti une douleur inexplicable en voyant une collégienne d'une douzaine d'année, avec un tas de livres sous le bras, en train d'ouvrir la porte de sa maison. Je suis passé à coté de mon ancienne école primaire. Le mur qui protège la cour de récréation a été surélevé, il est haut de quatre mètres. J'ai entendu les cris des enfants. Soudain un ballon de basket est passé par dessus le mur et a atterri presque devant moi. Il a rebondi sur le capot d'une voiture puis au milieu de la chaussée et s'est arrêté devant l'entrée d'un immeuble. Il n'y avait personne dans la rue. J'ai ramassé le ballon et d'un coup de pied je l'ai expédié dans la cour. Aux cris des enfants j'ai deviné que le jeu avait repris. "je suis venu pour vous renvoyer le ballon", ai-je pensé.
Mon père ,lui, ne fréquente pas beaucoup les églises parce qu'elles le dépriment. Leur clientèle, plutôt âgée dans l'ensemble, lui donne des idées noires. Peut-être considère-t-il les églises comme des succursales de l'au-delà.
La société athénienne est exubérante. Elle parle sans cesse, elle exprime intensément ses sentiments, ses points de vue, elle éclate de rire pour un rien, elle mange avec boulimie, elle est toujours disposée à faire la fête comme si le lendemain n'était pas un jour ouvrable et elle a, naturellement, tout le temps besoin de voir du monde. Elle est plus amusante que la société parisienne, perpétuellement préoccupée par l'heure et incapable d'oublier ses obligations. Il n'y a pas beaucoup d'horloges dans les endroits publics à Athènes. Je crois que la société parisienne se fait une certaine idée de l'avenir et qu'elle travaille fiévreusement dans l'espoir de la réaliser. Les Athéniens préfèrent s'occuper du présent. Ils s'emploient à le façonner à leur guise. Ils vivent avec entrain, justement parce qu'ils n'attendent pas grand-chose de l'avenir.