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EAN : 9782021167696
360 pages
Seuil (19/02/2015)
3.85/5   41 notes
Résumé :
Vassilis s'aperçoit un jour qu'il a oublié le mot "clarinette". Il voit des clarinettes partout, mais le mot ne revient pas, ni en français, sa langue d'adoption, ni en grec, sa langue natale. Pourquoi perd-on la mémoire ? A Paris, son éditeur, qui est aussi son plus ancien et plus cher ami, a un cancer. Il le veille. La maladie progresse. Les souvenirs affluent, émouvants et cocasses. A Athènes aussi la crise mine la société. Le racisme se répand dans la ville autr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Vassilis Alexakis La clarinette roman Seuil ( 351 pages – 21€)

Peut-on oublier un mot de sa langue maternelle ou de sa langue d'adoption ?
Oui, dira l'auteur, qui, en a fait l'expérience. Il s'interroge sur le mécanisme de la mémoire chez les adultes, mais aussi chez les enfants et nous livre les résultats de son enquête. Ce mot oublié donne donc le titre au roman.

Vassilis Alexakis est un habitué des allers retours Paris-Athènes. Dans ce roman, il nous fait partager son séjour 2013, nous relatant les retrouvailles avec sa famille,la réception qu'il organisa pour ses 69 ans, ( son anniversaire tombant à Noël), ses rencontres fortuites dans les rues, le tout dans les moindres détails. Des sujets récurrents sont développés : l'écriture, la traduction, les langues et la crise grecque.

Mais ses pensées sont constamment tournées vers son éditeur, devenu plus qu'un ami, un confident, taraudé par la crainte de ne pas le revoir. L'auteur lui téléphone et commence une conversation ininterrompue, échangeant sur de multiples registres.

Le portrait de celui qui n'est pas nommé (1), facilement identifiable, puisque l'auteur de Deux vies valent mieux qu'une, livre catharsis, se tisse au fil des pages.
Le romancier se remémore leur première rencontre en 1974 , la publication de son premier roman le sandwich et relate comment leur lien professionnel se transforma en une véritable amitié, une complicité fraternelle matinée de déférence. Avec nostalgie, il se souvient de leurs étés à Tinos, leurs familles réunies.

On suit avec empathie le combat de l'éditeur contre la maladie, le traitement de la dernière chance et la façon dont Vassilis Alexakis le drape de bienveillance et lui apporte un soutien moral incommensurable, une présence lénifiante jusqu'à cette fatale date du 25 mars 2013, coïncidant , ironie du sort, à la fête nationale grecque.
Et si le tag « Je dépéris », vu sur un mur à Athènes, était une voix prémonitoire ?

En parallèle, se brosse l'autoportrait de l'auteur bilingue, sollicité de toutes parts, par des salons, des universités, des librairies et médiathèques. Avec humour, à l'instar de L'écrivain national de Serge Joncour, il commente ses voyages en train, ses rencontres avec son lectorat, ses passages dans les villes, dont il ne connaît, parfois, que la gare, la cathédrale ou le phare ( énigme de Brive). Il est passé expert en noms des habitants. Il ne cache pas ses idées politiques sur la carence du gouvernement de Samaras, l'administration qui sommeille, la troïka et le parti Aube dorée. Il est indigné de voir l'église intouchable, la misère dans les rues, occultée par les pouvoirs publics. Avec Zoé, ils évoquent les droits bafoués. Il ne se prive pas d'égratigner les journalistes peu délicats ou le net, source d'infos erronées. Il souligne l'inéluctable solitude de l'écrivain et justifie son choix de quitter Stock. Il concède sa propension aux mensonges. Il confie sa lassitude de Paris, où l'on garde ses distances.

En marge de ce duo éditeur/écrivain, défile toute une galerie de personnages atypiques, hauts en couleur : Minas, le clochard érudit qui lit Cavafy, Théotokas ; Lilie qui tricote des pulls pour les miséreux SDF ; la dame au cageot rouge ; « un marchand de loukoums qui miaulait » ; Orthodoxie, qui joue dans une équipe de football et vend le radeau,en gilet rouge. N'oublions pas que Vassilis Alexakis est un fanatique de ce sport. Dans le quartier du Céramique, au cours d'une maraude, l'auteur croise Thodoros, ex- commerçant, ruiné.

L'auteur sait à la fois nous émouvoir ( avec ses larmes de « la taille de pièces de dix euros » et nous dérider par des scènes insolites ou cocasses, frôlant le ridicule, mais excellant dans l'autodérision. le travelling sur une poubelle qui dévale, avec l'auteur s'évertuant à la freiner est plein de suspense. Une passagère qui ne sait plus détacher sa ceinture, arrivée à Roissy. le pantalon qui se détache du fil et atterrit on ne sait où. Parfois c'est lui qui chute de son fauteuil. Sa sortie d'une bouche d' égout, couvert d' « une boue, blanchâtre », dans l'indifférence des passants. Comme il le fait remarquer tragédie et comédie «  sont deux genres qui se côtoient sans cesse, qui habitent sur le même palier ». On sourit à la naïveté de sa question concernant les marées : « Comment je vais faire pour rentrer chez moi ? ».
Il adopte un style imagé pour décrire sa table de ping-pong : « Les documents formaient des chaînes de montagnes. Les deux raquettes, comme elles sont bleues, figuraient des lacs ». Tel un poète, à Tinos, il sait s'émerveiller devant la beauté d'un papillon : « j'ai eu l'impression qu'il applaudissait le paysage ».

On adhère d'autant plus facilement que l'auteur nous apostrophe en ami. Ne nous fait-il pas partager même ses messages téléphoniques ?

Avec Vassilis Alexakis, 71 ans, on ne prend pas racine. Toute sa vie n'a-t-elle pas été une course ? Fait-il remarquer,« complètement essoufflé ». Il nous embarque dans ses déambulations athéniennes ( le café d'Exarkheia, le quartier de Kypséli peuplé d'immigrés, de Kolonaki, d'Omania) et parisiennes ( imaginant son ultime traversée de Paris). « Les lieux sont chargés de souvenirs », des liens et notre mémoire.

Il nous offre une immersion dans la langue grecque, émaillant ce roman de mots grecs, rendant hommage à l'helléniste Jacqueline de Romilly, qui a donné son nom «  à une place près de l 'Acropole ». « La grâce des mots tient à leur sens : c'est lui qui leur permet de s'envoler comme des ballons ». Il est lui aussi un adepte du name dropping : François Bott qui lui assure que « Trouville est le lieu idéal pour fumer la pipe », dont il ne se sépare pas.

Les aficionados de Vassilis Alexakis reconnaîtront les romans précédents qu'il évoque. Depuis celui où il apprend le sango, celui où il cherche le premier mot, des titres moins connus comme La tête du chat et l'avant-dernier qui est celui de la remise sur pied. On retrouve cette même autodérision et des scènes cocasses parfois cinématographiques. L'auteur aime convoquer les absents. Il nous a déjà habitués à ses récits d'outre tombe avec: Je t'oublierai tous les jours ou L'enfant grec, dans lesquels il dialogue avec sa famille disparue ( mère, père, frère). Rappelons que Vassilis Alexakis a reçu le prestigieux Grand Prix de l'Académie française.

Le bémol qui peut indigner des féministes, c'est la façon dont l'auteur évoque ses liaisons éphémères, concédant ne pas être amoureux . Par contre, sa petite fille Éléni le fait fondre de tendresse et il lui promet de « l'installer au coeur de sa mémoire ».

Dans ce roman largement autobiographique, Vassilis Alexakis mêle souvenirs, anecdotes, interrogations, confidences adressées « à mi-voix » à ses lecteurs, « façon de les traiter en amis », réminiscences de son « intermezzo » à Rome. Il s'égare dans des digressions sur les chiffres, les couleurs. Il nous offre une incursion dans le théâtre et le dictionnaire. En journaliste, il autopsie la situation de la Grèce, dresse un état des lieux dramatique ( mesures d'austérité imposées par Bruxelles, pauvreté et « affres de la faim », fermeture de librairies), prémices de la crise actuelle. Elle « n'a plus qu'un visage, celui de ses fautes ». La Grèce, déliquescente, est à vendre. Il égratigne ceux qui bénéficient de niches fiscales, comme l'église. Toutefois, on comprend mieux son attachement à Athènes, plus rien ne le retient à Paris. Serait-il mal à l'aise avec la montée de la xénophobie, lui, l'exilé ? Désirerait-il se rapprocher de la mer ? Elle, «  qui résiste le mieux à l'oubli » et qu' « il faut regarder debout ».



Pour donner de la légèreté, la musique ( bouzouki, rébétiko) et la danse ponctuent le récit, teinté de mélancolie. La vie ne vaut-elle pas d'être dansée ? L'auteur ne se fait-il pas passer pour « équilibriste » ? Jongler du grec au français, il excelle ( « exercice salutaire pour le cerveau »), tout en soulevant les difficultés auxquelles un traducteur est confronté quand le mot n'existe pas dans l'une des langues.

Dans La clarinette Vassilis Alexakis rend un vibrant hommage à cet ami, qu'il a accompagné avec abnégation et tendresse, lui offrant un tombeau de papier à la hauteur de leur quarante années d' amitié indéfectible, de fidélité, de soutien réciproques. Comme le pense Milena Busquets, ne sommes- nous pas « davantage les choses que nous avons perdues que celles que nous avons » ?
Un roman touchant, alerte, fertile en imprévus, truffé de références mythologiques, d'une grande envergure, que l'on quitte à regrets, dédié aux enfants du disparu.
« Topissime », oserais-je ajouter !

(1) Jean-Marc Roberts







Vassilis Alexakis La clarinette roman Seuil ( 351 pages – 21€)

Peut-on oublier un mot de sa langue maternelle ou de sa langue d'adoption ?
Oui, dira l'auteur, qui, en a fait l'expérience. Il s'interroge sur le mécanisme de la mémoire chez les adultes, mais aussi chez les enfants et nous livre les résultats de son enquête. Ce mot oublié donne donc le titre au roman.

Vassilis Alexakis est un habitué des allers retours Paris-Athènes. Dans ce roman, il nous fait partager son séjour 2013, nous relatant les retrouvailles avec sa famille,la réception qu'il organisa pour ses 69 ans, ( son anniversaire tombant à Noël), ses rencontres fortuites dans les rues, le tout dans les moindres détails. Des sujets récurrents sont développés : l'écriture, la traduction, les langues et la crise grecque.

Mais ses pensées sont constamment tournées vers son éditeur, devenu plus qu'un ami, un confident, taraudé par la crainte de ne pas le revoir. L'auteur lui téléphone et commence une conversation ininterrompue, échangeant sur de multiples registres.

Le portrait de celui qui n'est pas nommé (1), facilement identifiable, puisque l'auteur de Deux vies valent mieux qu'une, livre catharsis, se tisse au fil des pages.
Le romancier se remémore leur première rencontre en 1974 , la publication de son premier roman le sandwich et relate comment leur lien professionnel se transforma en une véritable amitié, une complicité fraternelle matinée de déférence. Avec nostalgie, il se souvient de leurs étés à Tinos, leurs familles réunies.

On suit avec empathie le combat de l'éditeur contre la maladie, le traitement de la dernière chance et la façon dont Vassilis Alexakis le drape de bienveillance et lui apporte un soutien moral incommensurable, une présence lénifiante jusqu'à cette fatale date du 25 mars 2013, coïncidant , ironie du sort, à la fête nationale grecque.
Et si le tag « Je dépéris », vu sur un mur à Athènes, était une voix prémonitoire ?

En parallèle, se brosse l'autoportrait de l'auteur bilingue, sollicité de toutes parts, par des salons, des universités, des librairies et médiathèques. Avec humour, à l'instar de L'écrivain national de Serge Joncour, il commente ses voyages en train, ses rencontres avec son lectorat, ses passages dans les villes, dont il ne connaît, parfois, que la gare, la cathédrale ou le phare ( énigme de Brive). Il est passé expert en noms des habitants. Il ne cache pas ses idées politiques sur la carence du gouvernement de Samaras, l'administration qui sommeille, la troïka et le parti Aube dorée. Il est indigné de voir l'église intouchable, la misère dans les rues, occultée par les pouvoirs publics. Avec Zoé, ils évoquent les droits bafoués. Il ne se prive pas d'égratigner les journalistes peu délicats ou le net, source d'infos erronées. Il souligne l'inéluctable solitude de l'écrivain et justifie son choix de quitter Stock. Il concède sa propension aux mensonges. Il confie sa lassitude de Paris, où l'on garde ses distances.

En marge de ce duo éditeur/écrivain, défile toute une galerie de personnages atypiques, hauts en couleur : Minas, le clochard érudit qui lit Cavafy, Théotokas ; Lilie qui tricote des pulls pour les miséreux SDF ; la dame au cageot rouge ; « un marchand de loukoums qui miaulait » ; Orthodoxie, qui joue dans une équipe de football et vend le radeau,en gilet rouge. N'oublions pas que Vassilis Alexakis est un fanatique de ce sport. Dans le quartier du Céramique, au cours d'une maraude, l'auteur croise Thodoros, ex- commerçant, ruiné.

L'auteur sait à la fois nous émouvoir ( avec ses larmes de « la taille de pièces de dix euros » et nous dérider par des scènes insolites ou cocasses, frôlant le ridicule, mais excellant dans l'autodérision. le travelling sur une poubelle qui dévale, avec l'auteur s'évertuant à la freiner est plein de suspense. Une passagère qui ne sait plus détacher sa ceinture, arrivée à Roissy. le pantalon qui se détache du fil et atterrit on ne sait où. Parfois c'est lui qui chute de son fauteuil. Sa sortie d'une bouche d' égout, couvert d' « une boue, blanchâtre », dans l'indifférence des passants. Comme il le fait remarquer tragédie et comédie «  sont deux genres qui se côtoient sans cesse, qui habitent sur le même palier ». On sourit à la naïveté de sa question concernant les marées : « Comment je vais faire pour rentrer chez moi ? ».
Il adopte un style imagé pour décrire sa table de ping-pong : « Les documents formaient des chaînes de montagnes. Les deux raquettes, comme elles sont bleues, figuraient des lacs ». Tel un poète, à Tinos, il sait s'émerveiller devant la beauté d'un papillon : « j'ai eu l'impression qu'il applaudissait le paysage ».

On adhère d'autant plus facilement que l'auteur nous apostrophe en ami. Ne nous fait-il pas partager même ses messages téléphoniques ?

Avec Vassilis Alexakis, 71 ans, on ne prend pas racine. Toute sa vie n'a-t-elle pas été une course ? Fait-il remarquer,« complètement essoufflé ». Il nous embarque dans ses déambulations athéniennes ( le café d'Exarkheia, le quartier de Kypséli peuplé d'immigrés, de Kolonaki, d'Omania) et parisiennes ( imaginant son ultime traversée de Paris). « Les lieux sont chargés de souvenirs », des liens et notre mémoire.

Il nous offre une immersion dans la langue grecque, émaillant ce roman de mots grecs, rendant hommage à l'helléniste Jacqueline de Romilly, qui a donné son nom «  à une place près de l 'Acropole ». « La grâce des mots tient à leur sens : c'est lui qui leur permet de s'envoler comme des ballons ». Il est lui aussi un adepte du name dropping : François Bott qui lui assure que « Trouville est le lieu idéal pour fumer la pipe », dont il ne se sépare pas.

Les aficionados de Vassilis Alexakis reconnaîtront les romans précédents qu'il évoque. Depuis celui où il apprend le sango, celui où il cherche le premier mot, des titres moins connus comme La tête du chat et l'avant-dernier qui est celui de la remise sur pied. On retrouve cette même autodérision et des scènes cocasses parfois cinématographiques. L'auteur aime convoquer les absents. Il nous a déjà habitués à ses récits d'outre tombe avec: Je t'oublierai tous les jours ou L'enfant grec, dans lesquels il dialogue avec sa famille disparue ( mère, père, frère). Rappelons que Vassilis Alexakis a reçu le prestigieux Grand Prix de l'Académie française.

Le bémol qui peut indigner des féministes, c'est la façon dont l'auteur évoque ses liaisons éphémères, concédant ne pas être amoureux . Par contre, sa petite fille Éléni le fait fondre de tendresse et il lui promet de « l'installer au coeur de sa mémoire ».

Dans ce roman largement autobiographique, Vassilis Alexakis mêle souvenirs, anecdotes, interrogations, confidences adressées « à mi-voix » à ses lecteurs, « façon de les traiter en amis », réminiscences de son « intermezzo » à Rome. Il s'égare dans des digressions sur les chiffres, les couleurs. Il nous offre une incursion dans le théâtre et le dictionnaire. En journaliste, il autopsie la situation de la Grèce, dresse un état des lieux dramatique ( mesures d'austérité imposées par Bruxelles, pauvreté et « affres de la faim », fermeture de librairies), prémices de la crise actuelle. Elle « n'a plus qu'un visage, celui de ses fautes ». La Grèce, déliquescente, est à vendre. Il égratigne ceux qui bénéficient de niches fiscales, comme l'église. Toutefois, on comprend mieux son attachement à Athènes, plus rien ne le retient à Paris. Serait-il mal à l'aise avec la montée de la xénophobie, lui, l'exilé ? Désirerait-il se rapprocher de la mer ? Elle, «  qui résiste le mieux à l'oubli » et qu' « il faut regarder debout ».



Pour donner de la légèreté, la musique ( bouzouki, rébétiko) et la danse ponctuent le récit, teinté de mélancolie. La vie ne vaut-elle pas d'être dansée ? L'auteur ne se fait-il pas passer pour « équilibriste » ? Jongler du grec au français, il excelle ( « exercice salutaire pour le cerveau »), tout en soulevant les difficultés auxquelles un traducteur est confronté quand le mot n'existe pas dans l'une des langues.

Dans La clarinette Vassilis Alexakis rend un vibrant homm
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"Par moments les deux drames, le tien et celui de la Grèce, ne faisaient qu'un dans mon esprit : ta chambre à l'hôpital Saint-Joseph était une cellule de prison où on avait enfermé mon pays pour cause de dettes. Tu corrigeais les épreuves de ton livre à moitié couché dans le renfoncement de l'entrée d'un immeuble de la rue Hippocrate".

Ce texte magnifique est une offrande, un superbe hommage de l'écrivain franco-grec à l'ami disparu, son éditeur, Jean-Marc Roberts. Il y est question de mémoire, de souvenirs, de ce qui construit une amitié mais aussi une culture. Parce qu'un jour, Vassilis Alexakis s'aperçoit qu'il a oublié le mot clarinette, que ce soit en français ou en grec, il entreprend d'enquêter sur les mécanismes de la mémoire et s'interroge sur le rapport à sa double culture. Sa mémoire serait-elle plus sûre s'il retournait s'installer à Athènes là où s'est forgée son identité ? Ces défaillances sont-elles liées à la lassitude qu'il ressent envers Paris où il vit depuis son exil sous le régime des généraux ? Tandis que son éditeur et ami lutte contre la maladie qui finira par l'emporter, il navigue entre Paris et Athènes, auscultant la faillite dans laquelle est plongée son pays natal, se désolant de sa chute et puisant dans son histoire et sa culture le réconfort des mots. Dialoguant avec son ami comme s'il était encore avec lui, partageant leurs souvenirs communs et les lieux qui s'y rattachent.

Vassilis Alexakis nous entraîne dans une Athènes à mille lieux des clichés touristiques, au contact d'une population meurtrie par la crise et cernée par les thèses extrémistes du parti Aube dorée. Il porte sur son pays un regard empli de regrets, d'effroi et d'amour, n'hésitant pas à pointer du doigt le rôle nocif de la toute puissante Église orthodoxe ou l'exil fiscal des armateurs. Mais son ton retrouve toute sa bienveillance au contact des gens simples qui continuent à vivre la tête haute. Tout comme la mémoire d'autres temps l'aide à garder l'espoir.

"Le mot vérité (...). Cela fait longtemps que nous l'avons banni de notre vocabulaire.(...) Nous sommes des affabulateurs patentés et candides car nous croyons nos propres mensonges. Nous avons toujours excellé dans la fabrication des mythes : c'est le seul talent que nous avons hérité de nos ancêtres".

Mais les plus belles pages sont celles qu'il consacre à son ami, d'une sincérité poignante. Ensemble, ils partageaient le goût des mots "on n'est jamais trahi par les mots : ils nous rendent toujours l'affection qu'on leur porte" et Vassilis Alexakis ne pouvait rendre plus bel hommage qu'avec les siens : "Tu avais la capacité d'aimer et d'écrire en même temps : tu t'inspirais de ta vie et tu vivais tes rêves".

Comment ne pas se réjouir de ce voyage auquel nous convie Vassilis Alexakis, avec son regard à la fois lucide et tendre, riche de culture, de souvenirs et de liens indestructibles ? Un livre écrit devant le portrait encadré de son ami, à qui il continue de se confier au fil de l'eau. "Chaque page est un nouveau voyage. J'hésite longuement à l'entamer de peur de me tromper de direction, de faire naufrage. Ma gomme me fait l'effet d'une bouée de sauvetage".

En plus d'être superbe, ce livre possède un étrange pouvoir réconfortant, pareil à celui que procure une longue marche dans la nature. Un grand bol d'oxygène.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Pour ses lecteurs, Vassilis Alexakis est un ami qui charge assez régulièrement le narrateur de ses romans, son double fictionnel, de leur donner de ses nouvelles et, surtout, de leur livrer l'état de son monde intérieur, sans jamais céder au narcissisme. Ici, entre 2012 et 2013, beaucoup de choses vont mal. On court, on court dans la vie, on ne voit pas le temps passer, jusqu'au jour où il faut bien admettre qu'on n'a plus l'âge de ses ambitions, qu'il faut songer à finir son verre parce que l'heure de la fermeture approche. Grec, exilé à Paris à la suite du coup d'Etat des colonels, établi en France pendant de longues années écrivant ses livres en français ou en grec (et rencontrant de grosses difficultés à se traduire lui-même), le narrateur se prépare à rentrer définitivement à Athènes. En même temps, l'ami proche (l'éditeur et romancier Jean-Marc Roberts dans la vraie vie) se meurt d'un cancer, et le pays natal s'enfonce dans la crise que l'on sait. Naufrages parallèles, également tragiques auxquels font écho les avanies de l'âge.
La tonalité de base est donc plutôt grave ; mais la mélancolie n'exclut ni l'humour ni la tendresse. Il y a du rêve, des pensées qui dérivent, un pantalon qui s'échappe par la fenêtre… Ce livre plaira bien entendu à tous les amis de Vassilis ; il donnera à penser à tous ceux qui découvrent un beau jour que la vieillesse les a rattrapés ; il rappellera à tous que quand les grandes choses vont mal, l'espoir vient se loger dans les petits détails du quotidien. Superbes portraits de petites gens qui savent garder la tête haute et sauver l'honneur.
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Le point de départ du roman de Vassilis Alexakis se résume à l'oubli d'un mot: clarinette. Et d'emblée, les lecteurs familiers reconnaissent le monde de l'auteur, celui d'un exilé, tiraillé entre ses origines et son pays d'accueil. Il semble toujours lutter contre l'oubli des mots, et cite encore à profusion dans le fil du texte des mots grecs – qui de toute façon nourrissent la langue française. le lecteur les reçoit un peu comme sur la grève, on découvrirait des débris rejetées par la mer après un naufrage, des planches, des cordes...des migrants !
L'auteur nous livre à travers ce « roman » son cheminement alors qu'il écrit en s'adressant à son éditeur et ami qu'il accompagne dans les derniers moments de sa vie. le récit tragique de ce parcours personnel est doublé du portrait – statistiques à l'appui – de deux pays atteints eux aussi par un mal qui les transforme de façon sordide et macabre. Et on assiste à une sorte d'enchère qui attribue tantôt à la France, tantôt à la Grèce le triste record du pays le plus touché par la souffrance et la corruption.
Vassilis Alexakis aborde avec gravité les thèmes de la vieillesse et de la mort. S'ils sont au coeur de son roman, il n'empêche que son humour est toujours présent, dans de petits clins d'oeil et détails du quotidien. « On devine que tu serais très fâché si on s'apitoyait sur ton sort », écrit-il. En effet, le texte évite tout apitoiement sur soi-même, et c'est ce qui fait sa force.
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C'est un livre d'amitié, amitié qui lie le narrateur, auteur grec francophone, et son éditeur qui est aussi son ami. Ce sont aussi ses allers-retours entre Paris et Athènes dans la Grèce sinistrée par la crise. Narrateur de l'entre-deux, entre-deux langues, polyglotte oserais-je écrire pour employer un mot d'origine grecque, qui écrit en Français se traduit lui-même en Grec, ou l'inverse. Choix des mots. Entre-deux pays, l'exil est-il à Paris où l'auteur vit depuis presque cinquante ans, auteur reconnu et primé, ou à Athènes? ou à Tinos dont il parle trop peu.

Je lis toujours avec grand plaisir Alexakis, écrivain attentif aux mots depuis la Langue Maternelle, le Premier Mot....qui, en Français nous fait aimer la langue grecque. La plus belle trouvaille est cette vérité aletheia dont le contraire ne serait pas le mensonge mais l'oubli, ce Lethé, fleuve des Enfers, fleuve de l'oubli. La mythologie n'est jamais loin. Ni Oedipe, ni Sophocle.

Pourtant c'est un "roman" plutôt noir, où il est question de vieillesse, de maladie et de deuil. D'oubli aussi puisque le titre La Clarinette vient d'un oubli de ce mot, perte de mémoire qui inquiète le narrateur.

Noir le constat de la pauvreté des Grecs. Pauvreté qui exacerbe l'égoïsme plutôt que la solidarité. Crise impitoyable qui met à la rue des milliers de Grecs - ou non-grecs d'ailleurs. le narrateur est particulièrement attentif aux SDF et au clochards, grecs ou parisiens, il se documente sur les initiatives pour leur venir en aide.

Attentif aussi aux idées politiques, exilé de la Junte autrefois, il sait reconnaître le fascisme, l'égoïsme des armateurs grecs qui ne paient pas l'impôt. Sévère avec l'Eglise orthodoxe: Ap. J.-C est le roman que j'ai préféré.

Retournera-t-il définitivement à Athènes?
Lien : http://miriampanigel.blog.le..
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critiques presse (5)
LaPresse
15 mai 2015
La clarinette est un touchant roman-vérité dans lequel l'écrivain franco-grec prend le rôle du narrateur.
Lire la critique sur le site : LaPresse
LeMonde
19 mars 2015
Avec Alexakis, la littérature est al dente.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Bibliobs
09 mars 2015
Avec «la Clarinette», cet exercice acrobatique touche au bel art et atteint le sommet de l’émotion.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Telerama
18 février 2015
[...] embrassant, dans un seul et même geste, l'intime – la réflexion sur le temps, la perte de ceux qu'on aime, le vieillissement et les défaillances de la mémoire, avérées ou redoutées (peut-on oublier son propre visage ?) – et le politique – la crise grecque, ses ravages, ses victimes et ses responsables. Tout pour composer un livre tout ensemble méditatif et pugnace, mutin et mélancolique, tendre et navré, infiniment vivant quoique drapé d'ombre.
Lire la critique sur le site : Telerama
Lexpress
13 février 2015
Il souhaitait, lui, le saltimbanque de 71 ans, déterrer les racines de la crise, déjà évoquée il y a près de trois ans dans L'Enfant grec. La crise, la mémoire, tels étaient, au départ, les principaux thèmes de La Clarinette (un titre longtemps en balance avec "La Minute de silence"). Mais alors qu'il s'instruit sur la question, surgit le cancer de son ami et seul éditeur depuis 1974, Jean-Marc Roberts.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
Je venais de découvrir que le mot grec alétheia, vérité est composé du a privatif et de léthé, l’oubli.
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-Alors, comment va la Grèce ?
- Le tiers de la population, trois millions et demi de personnes, vit en-dessous du seuil de pauvreté. Il existe bien sûr des pays encore plus miséreux : le cas de la Grèce est cependant particulier dans la mesure où on la tient pour responsable de sa détresse. Elle est le seul pays pauvre que personne ne plaint. On l'accuse au contraire dans toutes les langues d'avoir eu la folie des grandeurs, d'avoir abusé des fonds européens, d'avoir trafiqué ses statistiques pour accéder à la zone euro. La Grèce n'a plus qu'un seul visage, celui de ses fautes. p201
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La presse anglo-saxonne a forgé l'acronyme PIGS, composé des initiales du Portugal, de l'Irlande, de la Grèce et de l'Espagne, pour fustiger les mauvais élèves de la zone Euro, qualifiés ainsi de "cochons". Pour ce qui est de la Grèce, l'appréciation n'est pas trop sévère: elle est entrée en quelque sorte clandestinement dans l'Euro et a continué pendant dix ans à dissimuler l'état de ses finances pour ne reconnaître qu'en 2010, à un moment où le système bancaire mondial était sérieusement ébranlé par la faillite de Lehman Brothers, qu'il était désastreux....Le Front radical de gauche soutient cependant que les aides allouées au pays ont surtout servi à renflouer les banques , notamment françaises et allemandes, qui détenaient le plus de titres souverains grecs. Elle fait inlassablement le procès des banques d'affaires et des hedge funds qui ont gagné de l'argent sur le dos de la Grèce en spéculant sur son effondrement. Elle relève ce paradoxe, que dans un monde où la pauvreté gagne continuellement du terrain, le nombre de millionnaires ne cesse d'augmenter....le capitalisme financiarisé relève de la piraterie :
- Les investisseurs internationaux ne sont liés à aucun état, ne se soucient guère de l'avenir de nos sociétés, n'ont d'autre objectif que leur profit immédiat...." p312
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Les immigrés font sûrement davantage travailler leur mémoire que ceux qui n'ont jamais quitté leur pays.
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J'ai profité de sa présence pour lui demander si les journées des petits enfants sont plus courtes ou plus longues que les nôtres.
- Plus courtes, je pense. La vie surprend continuellement les enfants. "T'as vu ça ?" disent-ils sans cesse à leurs parents. Ils vivent dans un conte de fées. Ils ne sont pas encre lassés de voir le jour se lever. Oui, je pense que le temps passe bien plus vite pour eux que pour nous, qui ne voyons plus rien." p194
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Connaissez-vous le plus français des écrivains grecs ? À moins que ça ne soit le plus grec des écrivains français...
« La langue maternelle » de Vassilis Alexakis, c'est à lire chez Folio.
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Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

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1721 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

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