Alphonse Allais est le premier des humoristes français. Dans l'ordre alphabétique, ça va de soi (comme on dit à Lyon), mais aussi dans l'ordre qualitatif, et je dirais même sentimental. Ce grand écrivain (c'est
Jules Renard qui le qualifie ainsi, on peut lui faire confiance), n'est pas seulement un auteur que nous apprécions (comme la pression) mais que nous aimons. Car
Alphonse Allais est un homme aimable. Sa vie personnelle nous est un peu connue, et son biographe et bibliographe attitré,
François Caradec, l'auteur de cette remarquable édition) nous en a tracé les grandes lignes :
Né en 1854 à Honfleur (Calvados),
Alphonse Allais, fils de pharmacien, est censé étudier cette discipline pour prendre un jour la succession de son père. Mais les plantes médicinales, il préfère les étudier à la terrasse d'un café parisien (sous forme liquide), plutôt que dans un laboratoire. Son père qui, allez savoir pourquoi, n'approuve pas cette attitude, lui coupe les vivres. Alphonse exerce quelques petits métiers et finit par écrire quelques articles dans les journaux, jusqu'à en faire sa profession principale. Il occupera cette fonction jusqu'à sa mort, dans plusieurs quotidiens, certains même dont il sera le directeur. Il meurt à 51 ans d'une embolie pulmonaire.
Son oeuvre « littéraire » est en grande partie consacrée à ses
contes et nouvelles. Mais il est également l'auteur de quelques romans, dont «
L'Affaire Blaireau » (1899) adaptée au cinéma par
Yves Robert sous le titre « Ni vu, ni connu » (1958), ainsi que de quelques pièces de théâtre (souvent en participation avec
Alfred Capus,
Tristan Bernard ou Albert René).
Parallèlement (et comme son ami
Charles Cros), il mène (très sérieusement) une vie de chercheur scientifique dans des domaines aussi divers que la photographie couleur, la synthèse du caoutchouc, ou le café soluble.
Ses «
oeuvres anthumes » réunissent, comme le nom le suggère, tous les recueils de contes publiés du vivant de l'auteur, soit une douzaine de titres entre 1875 et 1905, et donc la quintessence de l'oeuvre d'
Alphonse Allais.
Paradoxalement l'humour d'
Alphonse Allais, dans sa forme, est plus « anglais » que « français » : il y a dans son style quelque chose du flegme « british » qui rappelle un peu
Oscar Wilde ou
George Bernard Shaw. Mais l'esprit français prédomine : finesse et vivacité du récit, complicité avec le lecteur qu'il prend souvent à partie, astuce et malice sont les ingrédients d'un humour complet où ne manquent, à l'occasion, ni la satire contre ses « têtes-de-turc » (
Francisque Sarcey ou Paul Leroy-Baulieu), ni l'absurde, qui lui vaudra l'admiration des surréalistes.
Signalons l'artiste qui a signé des tableaux immortels : « Récolte de la tomate par des cardinaux apoplectiques au bord de la mer Rouge » (, un tableau uniformément rouge « peint » en 1884), ou encore « Première communion de jeunes filles chlorotiques par temps de neige » (un tableau uniformément blanc « peint en 1883).
Signalons également le musicien, auteur d'une « Marche funèbre composée pour les funérailles d'un grand homme sourd », page de composition vierge, parce que « les grandes douleurs sont muettes ».
Enfin signalons le scientifique, qui a proposé nombre de réalisations destinées à changer l'avenir de l'humanité : pour relier la France et l'Angleterre, un pont flottant sur des pontons réalisés en vieilles boîtes de sardines (l'huile réduisant le risque de tempête, tous les marins vous le diront) ; pour garantir aux Parisiens une réserve d'eau ferrugineuse, il suffirait d'enfermer la Tour Eiffel dans une boîte en céramique étanche et de la retourner (le fer se dissolvant dans l'eau tout naturellement)…
Voilà pourquoi nous aimons
Alphonse Allais : pour cette douce folie, pour cet humour léger, jamais gras, ni graveleux, pour cette finesse qui faisait passer ses charges les plus féroces pour de gentilles moqueries…
Pour sa poésie, aussi :
« Par les bois du djinn où s'entasse de l'effroi,
Parle et bois du gin, ou cent tasses de lait froid ».
Ou encore
« Ah ! Vois au pont du Loing : de là, vogue en mer,
Dante.
Hâve oiseau pondu loin de la vogue ennuyeuse ».
Ça ne rime pas ? L'auteur ajoute une précision :
« Oui, je sais, la rime n'est pas très riche, mais j'aime mieux cela que de sombrer dans la trivialité. »
Lire
Alphonse Allais est toujours un bonheur. Et un palliatif assuré pour toutes les contrariétés qui nous entourent…