Un livre magnifique ! la voix d'une conscience éclairée, fragile, généreuse, puissante. Merveilleusement intelligent, drôle, inattendu. Quand l'arbitraire se heurte à plus fort que lui, le message est d'une force étonnante !
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Peut-être les avocats sont-ils quelques fois attachants quand eux-mêmes détournent les règles.
Feuillet après feuillet, mêlé entre les écrits de procédure, les conclusions et les documents de défense de ses avocats, Ahmet Altan a fait sortir son livre de prison. Par pièces détachées, avant qu'elles ne soient rassemblées au dehors.
Ce livre est d'abord un livre traduit. Il n'a pas été publié en Turquie. Et la traduction française par Julien Lapeyre de Cabanes est excellente.
Ahmet Altan s'est fait arrêter dans la vague de répression arbitraire qui a suivi le coup d'état manqué en Turquie en juillet 2016.
Ce n'est pas un livre sur la politique (c'est un texte politique, un texte engagé et entier mais il ne traite pas des rouages politiques en tant que tels). C'est un livre sur la prison. Sur l'enfermement, sur la force de l'esprit et l'importance de la littérature. C'est un livre qui parle de Toltsoï et de la "poignée de ciel" aperçue entre les barreaux. La mélancolie d'un baiser qu'on ne peut plus donner.
C'est avant tout très beau.
Sur la création, sur la capacité à inventer, à utiliser les profondeurs de son cerveau, il dit cette phrase magnifique :
"Me jeter en prison était dans vos cordes ; mais aucune de vos cordes ne sera jamais assez puissante pour m'y retenir.
Je suis écrivain.
Je ne suis ni là où je suis, ni là où je ne suis pas."
C'est d'une grande force, celle qui amène à la sérénité parfois. Poétique souvent, drôle puisqu'il s'agit de survivre.
La poésie d'abord dans les discussions avec les autres détenus au dessus des murs, sans voir les visages :
"Selman : 'Les oiseaux sont de retour'.
La voix : 'Oui, en ce moment je nourris une perruche... Elle est née dans la prison, puis sa mère est morte. Depuis, c'est moi qui l'élève..."
Selman : "Je ne l'ai encore jamais vue voler, votre perruche... J'ai pas eu cette chance, faut croire...'
La voix : 'Elle ne vole pas'. Puis, avec la tendresse d'un père qui s'inquiète pour son fils : 'Elle a peur du ciel...' ".
L'humour ensuite, quand une femme médecin liée à la prison lui demande "de baisser son pantalon" et qu'il pense d'instinct "vous d'abord", c'est une réplique pour continuer d'exister.
Ce livre découpé en courts chapitres est l'une des publications les plus belles de cette année.
Texte lu et débattu à l'Intime Festival de Namur.
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