A force de vivre avec vous, j'ai fini par prendre en pitié ce vieux Satan. Parce qu'une chose est sûre : vous irez le rejoindre en enfer, et il n'a quand même pas mérité ça, le pauvre diable !"
Un bruit de tiroirs qu'on ouvrait et refermait me réveilla. J'entendis papa et maman chuchoter dans leur chambre et mon coeur se mit à cogner comme un tambour. Je plaquais la paume sur ma poitrine, respirai un grand coup et me retournai pour éveiller Jimmy,mais il était déjà assis dans notre canapé-lit. Sous la lueur argentée de la lune qui pénétrait à flots par la fenetre sans rideaux, le visage de mon grand frère de seize ans paressait dur, comme taillé dans le granit. Jimmy ne bougeait absolument pas : il écoutait.
"- Oh non, mademoiselle Emily, énonçai-je en détachant les syllabes. C'est moi qui vous ai assez vue, vous et votre face de carême, votre sale tête de mégère frustrée crachant le fiel par tous les pores. J'en ai soupé de vos grimaces de grenouille de bénitier qui accuse les autres de tous les péchés de l'enfer sans voir dans quel jus elle barbote. Je n'en peux plus de vos bassesses et de vos procédés ignobles au nom de la justice divine, qui vous les rendra au centuple, si elle mérite son nom. Je n'aurai plus à supporter votre jalousie maladive envers tout ce qui est plus beau et bon. Donnez à qui vous voudrez vos leçons de propreté, vous qui vivez dans la crasse de ce caveau que vous appelez une maison. Je vous les laisse."
"- Je n'aurai jamais cru qu'on puisse éprouver un tel plaisir à quitter quelqu'un, mademoiselle Emily. Et vous voulez que je vous dise ? A force de vivre avec vous, j'ai fini par prendre en pitié ce vieux Satan. Parce qu'une chose est sûre : vous irez le rejoindre en enfer, et il n'a quand même pas mérité ça, le pauvre diable !"