La France, l'Auvergne, mes deux patries complémentaires, venaient ainsi à moi subrepticement, par la petite porte. L'une restait confinée dans le bâtiment décrépit de l'école ; elle sentait la poussière, l'encre, le jus de chaussettes. L'autre m'attendait au-dehors, avec ses hectares de ciel, ses montagnes, ses prés, le crottin de ses petits ânes.
Elle inscrivait sur un cahier la somme due, réglée en principe chaque fin de mois. Peu de gens payaient alors au comptant leurs achats quotidiens, excepté à la buvette. Les épiciers, les boulangers, les bouchers étaient les banquiers du pauvre monde. – p.239
Il eut des funérailles dignes de lui : avant même qu’il ne fût emporté par le corbillard, ses gendres fouillèrent les meubles, à la recherche d’or, d’argent, de bijoux, de montres, et se partagèrent ses dépouilles sur son cercueil. – p.230
On trouva, on crut avoir trouvé la cause de mon infirmité. L’amour des livres était d’ailleurs à cette époque très mal considéré des petites gens. Tenu pour un vice épouvantable. A tout prendre, on lui eût préféré l’amour du vin ou du tabac. – p.163
J’apprends dans le livret les dates de tes vaccinations antityphoïdiques, la grosseur de ton tour de tête et de ta ceinture, ton aptitude à lire et à écrire, ton adresse au tir, ta nullité en natation. Cela ne m’étonne point : peu d’Auvergnats de ton époque avaient le goût de l’eau. Les simples bains de pied n’étaient acceptés que sur prescription médicale, enrichis de farine de moutarde. – p.88
Personnellement, je m’étais juré de ne jamais tomber dans cette littérature narcissique, n’ayant accompli nulle prouesse extraordinaire, si ce n’est de m’obstiner à vivre en Auvergne tout en publiant beaucoup de bouquins à Paris et ailleurs : n’ayant jamais gravi que des poiriers de modeste altitude. – p.10
J'accepte donc, à côté des italiens-macaronis, des anglais-rosbeefs, des français-grenouillards, d'être un thiernois-mange-bique, car j'apprécie l'esprit d'indépendance de cet animal qui ne sait pas ce qu'obéissance veut dire, happe le défendu et refuse l'autorisé. Une vraie anarchiste. (p.37)