Citations sur Une partie du coeur (12)
Les secrets sortaient des familles sans que ça change rien, il aurait fallu les dire dans une autre langue, dans la langue de l'autre, puisque Je était un autre.
Les romans dans lesquels Je était un autre exaspéraient beaucoup de gens, cent ans après pourtant. Proust, Woolf, et Madame Bovary c'est moi avaient sapé les derniers siècles en faisant vaciller la composition du sujet. Mais on n'en avait pas pris la mesure. Tout s'était passé en même temps. Longtemps je me suis couché de bonne heure se passait dans un lit avec la vision de tous les êtres qui peuplaient l'esprit de celui qui essayait de s'endormir. Dès la première page, ils étaient tous convoqués à l'intérieur même de la tête sur l'oreiller. Qui ne coïncidait plus à elle-même.
Comme l'eau qui coule entre le loup et l'agneau. L'agneau n'avait pas pu souiller le breuvage du loup puisqu'il était en aval, que Votre Majesté ne se mette pas en colère ; Mais plutôt qu'elle considère Que je me vas désaltérant Dans le courant, Plus de vingt pas au-dessous d'Elle ; Et que par conséquent, en aucune façon, Je ne puis troubler sa boisson. – Tu la troubles reprit cette bête cruelle ; Et je sais que de moi tu médis l'an passé. C'étaient les mêmes accusations, et la même culpabilisation. Le signifiant de la littérature était accusé de porter préjudice à un référent de la réalité alors que les deux agissaient dans deux champs différents, étaient de composition différente chimiquement, et que le signifiant buvait une eau déjà souillée vingt pas au-dessous, et que par conséquent en aucune façon je ne puis troubler sa boisson. La littérature était l'agneau, et bouc émissaire.
C'était comme le rêve. N'importe qui pouvait y être convié à tout moment. Il n'y avait aucune raison que les gens disent : c'est moi, c'est mon histoire. Que des journalistes disent : je l'ai reconnu, dans le rêve, ce n'était pas exactement son visage mais je savais que c'était lui. Ce n'était pas l'histoire des gens puisqu'il n'y en avait pas vraiment dans ce pays, mais celle de l'inspiration. Quand on disait à quelqu'un « j'ai rêvé de vous », on n'avait pas rêvé de lui, on avait rêvé, et il y avait le nom, ou la forme de cette personne croisée dans la réalité. La différence entre le rêve et la littérature : le processus littéraire devenait conscient à un certain moment, vers la fin un contrôle pouvait s'exercer, à la sortie des images.
L'inspiration venait d'un endroit où je n'étais pas, où il n'y avait personne, un pays. Un endroit qu'on connaissait tous intuitivement sans y être jamais allés réellement. Un pays lointain mais accessible par l'inspiration. Elle appartenait à tout le monde, comme au jeu des sept familles la pioche. Bonne ou mauvaise, ça permettait de sortir des cartes héritées à la distribution.
Il m'aimait tellement qu'il en devenait dur, froid, parfois méchant, cruel, parfois il ne supportait plus d'avoir des sentiments, il m'en voulait d'avoir envahi son cœur.
On forçait mon imaginaire. Ma seule part d'intimité. Il n'y avait que moi qui avais la clef, je n'en donnais jamais la clef, je ne faisais pas de romans à clés.
Quand on aimait quelqu'un on lui disait « je suis à toi ». L'inspiration, c'était la même chose. Tout le monde était à tout le monde, la littérature était un bien commun, comme l'eau, le soleil, et la lune, qui ne répondait pas aux règles sur la propriété privée, à la loi du sol.
Ce que nous déclenchions dans l'inspiration, les rêves, et l'imaginaire des autres, ne nous appartenait pas. Point. L'inconscient ne nous appartenait pas.
Je préférais le concret à la pensée abstraite. La littérature, il n'y avait rien de plus stable, de plus concret, de plus sûr. Il n'y avait pas d'inspiration dans la pensée abstraite, mais du travail et de l'intuition pour ce que j'en comprenais. Pour la littérature, l'inspiration dirigeait tout. C'est-à-dire quelque chose qui vient.