Le monde où nous vivons se nomme Nektorus. On raconte que Nektorus se trouve au centre des systèmes nébuleux, sortes d'amas planétaires et galactiques. En réalité, les systèmes nébuleux sont tels que tout monde habité ou non se trouve dans une position centrale par rapport aux autres, ce qui pose un problème de topologie géométrique. La représentation admise est une sphère où chaque corps céleste est posé à la surface et se trouve être central par rapport aux autres points de l'espace. Il n'existe pas de carte du ciel. Il n'existe que des représentations symboliques dont la plus simple est un cercle avec un point au centre. C'est plus facile de se représenter l'univers ainsi, du moins pour les êtres inférieurs que nous sommes, nous, les Narhs. Ce n'est bien sûr pas le cas des Mahaans, qui eux ont une autre représentation de l'univers, bien plus élaborée.
Mènès est la lune brune de Nektorus. C'est un lieu d'exil pour les êtres bannis de toutes les planètes des systèmes nébuleux dont bien sûr Nektorus, qui en est le centre officiel. On raconte que la vie sur Mènès y est rudimentaire, sans confort, et que les exilés y vivent à l'état sauvage et se conduisent comme des barbares. On les dit sans foi ni loi, faméliques pour la plupart, voire cannibales. Quelques communautés se sont constituées dans des habitats fabriqués à mains nues à partir des matériaux - roches, argile, branchages... - trouvés sur place. Les communautés se regroupent chacune autour d'un chef de clan et sont souvent en guerre entre elles pour le pouvoir ou pour obtenir des territoires où la nourriture et l'eau sont plus abondantes. S'agissant d'individus exilés venus de toutes parts, du moins parmi les plus anciens - car des naissances ont eu lieu sur Mènès selon des modes qualifiés de primitifs et grossiers -, ils parlent une sorte de dialecte mêlant le nektori à d'autres idiomes propres aux différentes planètes des systèmes nébuleux. Certains - parmi les chefs de clan - sont de véritables lettrés, mais la plupart ne savent ni lire ni écrire.
La nuit nous enveloppe. Les convives se lèvent, s'inclinent avec respect et prennent congé en silence. Il n'y a plus rien à ajouter. Le verdict est tombé, tel un couperet. Je suis l'ennemi. Le feu qui nous éclaire se transforme en braises. Elysiake se retire à son tour, telle une ombre rouge et noir. Je me retrouve seul avec Noëbus, qui n'a pas bougé. Il m'observe - je le sens plus que je ne le vois - attendant ma réaction, qui ne vient pas.
- As-tu compris?
J'opine d'un mouvement de tête.
- Et tu n'as rien à dire?
Je réponds par un bref haussement d'épaules. Le noir alentour est abyssal. (...)