LA PORTE
La porte de l’hôtel sourit terriblement
Qu’est-ce que cela peut me faire ô ma maman
D’être cet employé pour qui seul rien n’existe
Pi-mus couples allant dans la profonde eau triste
Anges frais débarqués à Marseille hier matin
J’entends mourir et remourir un chant lointain
Humble comme je suis qui ne suis rien qui vaille
Enfant je t’ai donné ce que j’avais travaille
p.87
ALCOOLS
LE BRASIER
A Paul-Napoléon Roinard.
J'AI jeté dans le noble feu
Que je transporte et que j'adore
De vives mains et même feu
Ce Passé ces têtes de morts
Flamme je fais ce que tu veux
Le galop soudain des étoiles
N'étant que ce qui deviendra
Se mêle au hennissement mâle
Des centaures dans leurs haras
Et des grand'plaintes végétales
Où sont ces têtes que j'avais
Où est le Dieu de ma jeunesse
L'amour est devenu mauvais
Qu'au brasier les flammes renaissent
Mon âme au soleil se dévêt
Dans la plaine ont poussé des flammes
Nos cœurs pendent aux citronniers
Les têtes coupées qui m'acclament
Et les astres qui ont saigné
Ne sont que des têtes de femmes
Le fleuve épinglé sur la ville
T'y fixe comme un vêtement
Partant à l'amphion docile
Tu subis tous les tons charmants
Qui rendent les pierres agiles
JE flambe dans le brasier à l'ardeur adorable
Et les mains des croyants m'y rejettent multiple innom-
brablement
Les membres des intercis flambent auprès de moi
Éloignez du brasier les ossements
Je suffis pour l'éternité à entretenir le feu de mes délices
Et des oiseaux protègent de leurs ailes ma face et le soleil
O Mémoire Combien de races qui forlignent
Des Tyndarides aux vipères ardentes de mon bonheur
Et les serpents ne sont-ils que les cous des cygnes
Qui étaient immortels et n'étaient pas chanteurs
Voici ma vie renouvelée
De grands vaisseaux passent et repassent
Je trempe une fois encore mes mains dans l'Océan
Voici le paquebot et ma vie renouvelée
Ses flammes sont immenses
Il n'y a plus rien de commun entre moi
Et ceux qui craignent les brûlures
DESCENDANT des hauteurs où pense la lumière
Jardins rouant plus haut que tous les ciels mobiles
L'avenir masqué flambe en traversant les cieux
Nous attendons ton bon plaisir ô mon amie
J'ose à peine regarder la divine mascarade
Quand bleuira sur l'horizon la Désirade
Au-delà de notre atmosphère s'élève un théâtre
Que construisit le ver Zamir sans instrument
Puis le soleil revint ensoleiller les places
D'une ville marine apparue contremont
Sur les toits se reposaient les colombes lasses
Et le troupeau de sphinx regagne la sphingerie
A petits pas Il orra le chant du pâtre toute la vie
Là-haut le théâtre est bâti avec le feu solide
Comme les astres dont se nourrit le vide
Et voici le spectacle
Et pour toujours je suis assis dans un fauteuil
Ma tête mes genoux mes coudes vain pentacle
Les flammes ont poussé sur moi comme des feuilles
Des acteurs inhumains claires bêtes nouvelles
Donnent des ordres aux hommes apprivoisés
Terre
O Déchirée que les fleuves ont reprisée
J'aimerais mieux nuit et jour dans les sphingeries
Vouloir savoir pour qu'enfin on m'y dévorât
p.108-109-110
POÈMES ÉPISTOLAIRES
À JEAN COCTEAU
L'EGYPTIAQUE petit dieu
Qu'à ma femme vous envoyâtes
Se dresse à présent au milieu
Des dieux nègres et leurs cantates
Muettes s'élèvent en chœur
Je les entends j'ai fine oreille
Ce chœur des dieux touche mon cœur
Je veux le transcrire à merveille
Mon cher Cocteau venez me voir
C'est maintenant aux Colonies
J'y suis le matin et le soir
Protégé par les dieux de mes Mauritanies
Et que vous dirais-je de plus
Vous me lirez l'hiéroglyphe
Et les deux A que j'ai bien lus
Dont les épaules il s'attife
Nous parlerons de vos projets
De l'Egypte ou bien de l'Asie
Et de tous les dieux nos sujets
A nous roi de la poésie
p.834
POÈMES A LOU
LXXI
PRESSENTIMENT D'AMERIQUE
Mon enfant si nous allions en Amérique dont j'ai tou-
jours rêvé
Sur un vaisseau fendant la mer des Antilles
Et accompagnés par une nuée de poissons volants dont les
ailes nageoires palpitent de lumière
Nous suivrons le fleuve Amazone en cherchant sa fée
d'île en île
Nous entrerons dans les grands marécages où des forêts
sont noyées
Salue les constricteurs Entrons dans les reptilières
Ouïs l'oie oua-oua les singes hurlent les oiseaux cloches
Vagues du Prororoca l'immense mascaret
Le dieu de ces immensités les Andes les pampas
Est dans mon sein aujourd'hui mer végétale
Millions de grands moutons blonds qui s'entrepour-
suivent
Les condors survenant neiges des Cordillères
O cahutes d'ici nos pauvres reptilières
Quand dira-t-on la guerre de naguère
p.497
POÈMES RETROUVÉS
ACOUSMATE
PAIX sur terre aux hommes de bonne volonté
Les maris voudraient agir l'outil n'a pas de manche
Sur les doigts de cet homme on voit des tâches d'encre
Les hommes et les FEMMES sont tous insermentés
Les bergers écoutaient ce que disaient les anges
Leurs âmes s'apaisaient comme un midi d'été
Les bergers comprenaient ce qu'ils croyaient entendre
Car ils savaient déjà tout ce qu'ils écoutaient
Sur cette assiette Hélas ! j'aperçois trois chiures
Mais presque toutes les mouches sont mortes de froid
Car c'est l'hiver oui mon vieux ça va bien ça va même
très bien
Ces pâtres sachant qu'un enfant venait de naître
Près de là
Sur ce coup de minuit d'un jour alcyonien
Se mirent tous en route au son de leurs musettes
p.671
POÈMES INÉDITS
Avril qui rit ici connaît-il votre Nord
Les aurores y sont aurores boréales
Mais les femmes s'en vont libres et n'ont pas tort ;
Libres, l'homme et la femme un jour vaincront la mort.
Ah!. mais, pensez au Nord où les cheveux sont pâles
p.845
CASE D'ARMONS
TOUJOURS
A Madame Faure-Favier.
Toujours
Nous irons plus loin sans avancer jamais
Et de planète en planète
De nébuleuse en nébuleuse
Le don Juan des mille et trois comètes
Même sans bouger de la terre
Cherche les forces neuves
Et prend au sérieux les fantômes
Et tant d'univers s'oublient
Quels sont les grands oublieurs
Qui donc saura nous faire oublier telle ou telle partie
du monde
Où est le Christophe Colomb à qui l'on devra l'oubli
d'un continent
Perdre
Mais perdre vraiment
Pour laisser place à la trouvaille
Perdre
La vie pour trouver la Victoire
p.237
LUL DE FALTENIN
A Louis de Gonzague Frick.
SIRÈNES j’ai rampé vers vos
Grottes tiriez aux mers la langue
En dansant devant leurs chevaux
Puis battiez de vos ailes d’anges
Et j’écoutais ces chœurs rivaux
Une arme ô ma tête inquiète
J’agite un feuillard défleuri
Pour écarter l’haleine tiède
Qu’exhalent contre mes grands cris
Vos terribles bouches muettes
Il y a là-bas la merveille
Au prix d’elle que valez-vous
Le sang jaillit de mes otelles
A mon aspect et je l’avoue
Le meurtre de mon double orgueil
Si les bateliers ont ramé
Loin des lèvres à fleur de l’onde
Mille et mille animaux charmés
Flairent la route à la rencontre
De mes blessures bien-aimées
Leurs yeux étoiles bestiales
Eclairent ma compassion
Qu’importe ma sagesse égale
Celle des constellations
Car c’est moi seul nuit qui t’étoile
Sirènes enfin je descends
Dans une grotte avide J’aime
Vos yeux Les degrés sont glissants
Au loin que vous devenez naines
N’attirez plus aucun passant
Dans l’attentive et bien-apprise
J’ai vu feuilloler nos forêts
Mer le soleil se gargarise
Où les matelots désiraient
Que vergues et mâts reverdissent
Je descends et le firmament
S’est changé très vite en méduse
Puisque je flambe atrocement
Que mes bras seuls sont les excuses
Et les torches de mon tourment
Oiseaux tiriez aux mers la langue
Le soleil d’hier m’a rejoint
Les otelles nous ensanglantent
Dans le nid des Sirènes loin
Du troupeau d’étoiles oblongues
p.97-98
XLIV
La nuit
S'achève
Et Gui
Poursuit
Son rêve
Où tout
Est Lou
On est en guerre
Mais Gui
N'y pense guère
La nuit
S'étoile et la paille se dore
Il songe à Celle qu'il adore
Nuit du 27 avril 1915
p.450
PHOTOGRAPHIE
Ton sourire m'attire comme
Pourrait m'attirer une fleur
Photographie tu es le champignon brun
De la forêt
Qu'est sa beauté
Les blancs y sont
Un clair de lune
Dans un jardin pacifique
Plein d'eaux vives et de jardiniers endiablés
Photographie tu es la fumée de l'ardeur
Qu'est sa beauté
Et il y a en toi
Photographie
Des tons alanguis
On y entend
Une mélopée
Photographie tu es l'ombre
Du Soleil
Qu'est sa beauté
p.257