Saltimbanques (A Louis Dumur)
Dans la plaine les baladins
S'éloignent au long des jardins
Devant l'huis des auberges grises
Par les villages sans églises
Et les enfants s'en vont devant
Les autres suivent en rêvant
Chaque arbre fruitier se résigne
Quand de très loin ils lui font signe
Ils ont des poids ronds ou carrés
Des tambours des cerceaux dorés
L'ours et le singe animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage
Le Chat
Je souhaite dans ma maison :
Une femme ayant sa raison,
Un chat passant parmi les livres,
Des amis en toute saison
Sans lesquels je ne peux pas vivre.
(P.8, Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée).
Les Sapins
Les sapins en bonnets pointus
De longues robes revêtus
Comme des astrologues
Saluent leurs frères abattus
Les bateaux qui sur le Rhin voguent
Dans les sept arts endoctrinés
Par les vieux sapins leurs aînés
Qui sont de grands poètes
Ils se savent prédestinés
À briller plus que des planètes
À briller doucement changés
En étoiles et enneigés
Aux Noëls bienheureuses
Fêtes des sapins ensongés
Aux longues branches langoureuses
Les sapins beaux musiciens
Chantent des noëls anciens
Au vent des soirs d’automne
Ou bien graves magiciens
Incantent le ciel quand il tonne
Des rangées de blancs chérubins
Remplacent l’hiver les sapins
Et balancent leurs ailes
L’été ce sont de grands rabbins
Ou bien de vieilles demoiselles
Sapins médecins divaguants
Ils vont offrant leurs bons onguents
Quand la montagne accouche
De temps en temps sous l’ouragan
Un vieux sapin geint et se couche
(Rhénanes, Alcools, 1913).
Lorsque deux nobles cœurs se sont vraiment aimés
Leur amour est plus fort que la mort elle-même
Cueillons les souvenirs que nous avons semés
Et l'absence après tout n'est rien lorsque l'on s'aime.
Extrait de POÉMES À LOU
Ma chambre a la forme d’une cage,
Le soleil passe son bras par la fenêtre.
Mais moi qui veux fumer pour faire des mirages,
J’allume au feu du jour ma cigarette,
Je ne veux pas travailler — je veux fumer.
Alcools - L'adieu
J'ai cueilli ce brin de bruyère
L'automne est morte souviens-t'en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t'attends
Au lac de tes yeux très profond
Mon pauvre cœur se noie et fond
Là le défont
Dans l'eau d'amour et de folie
Souvenir et Mélancolie
Extrait de POÈMES À LOU
1909
La dame avait une robe
En ottoman violine
Et sa tunique brodée d’or
Était composée de deux panneaux
S’attachant sur l’épaule
Les yeux dansants comme des anges
Elle riait elle riait
Elle avait un visage aux couleurs de France
Les yeux bleus les dents blanches et les lèvres très rouges
Elle avait un visage aux couleurs de France
Elle était décolletée en rond
Et coiffée à la Récamier
Avec de beaux bras nus
N’entendra-t-on jamais sonner minuit
La dame en robe d’ottoman violine
Et en tunique brodée d’or
Décolletée en rond
Promenait ses boucles
Son bandeau d’or
Et traînait ses petits souliers à boucles
Elle était si belle
Que tu n’aurais pas osé l’aimer
J’aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes
Où naissaient chaque jour quelques êtres nouveaux
Le fer était leur sang la flamme leur cerveau
J’aimais j’aimais le peuple habile des machines
Le luxe et la beauté ne sont que son écume
Cette femme était si belle
Qu’elle me faisait peur
Poèmes à Lou / LXXV Epigramme
Mon adorable jardinière
Toi qui voudrais savoir pourquoi
Nul ne tape sur ton derrière
Ne sais-tu donc pas comme moi
Qu'il ne faut pas battre une femme
Et même avec une Fleur Rare oui Madame
Un soir d’été
Le Rhin
Qui coule
Un train
Qui roule
Des nixes blanches
Sont en prière
Dans la bruyère
Toutes les filles
À la fontaine
J’ai tant de peine
J’ai tant d’amour
Dit la plus belle
Qu’il soit fidèle
Et moi je l’aime
Dit sa marraine
J’ai la migraine
À la fontaine
J’ai tant de haine