Mon Lou ma chérie Je t'envoie aujourd'hui la première pervenche
Ici dans la forêt on a organisé des luttes entre les hommes
Ils s'ennuient d'être tout seuls sans femme faut bien les amuser le dimanche
Depuis si longtemps qu'ils sont loin de tout ils savent à peine parler
Et parfois je suis tenté de leur montrer ton portrait pour que ces jeunes mâles
Réapprennet en voyant ta photo
Ce que c'est que la beauté
Mais cela c'est pour moi c'est pour moi seul
Moi seul ai droit de parler à ce portrait qui pâlit
A ce portrait qui s'efface
Je le regarde parfois longtemps une heure deux heures
Et je regarde aussi les 2 petits portraits miraculeux
Mon coeur
La bataille des aéros dure toujours
La nuit est venue
Quelle triste chanson font dans les nuits profondes
Les obus qui tournoient comme de petits mondes
M'aimes-tu donc mon coeur et ton âme bien née
Veut-elle du laurier dont ma tête est ornée
J'y joindrai bien aussi de ces beaux myrtes verts
Couronne des amants qui ne sont pas pervers
En attendant voici que le chêne me donne
La guerrière couronne
Et quand te reverrai-je ô Lou ma bien-aimée
Reverrai-je Paris et sa pâle lumière
Trembler les soirs de brume autour des réverbères
Reverrai-je Paris et les sourires sous les voilettes
Les petits rapides des femmes inconnues
La tour de Saint-Germain-des-Prés
La fontaine du Luxembourg
Et toi mon adorée mon unique adorée
Toi mon très cher amour
La mésange ( extrait)
Un tramway descend vitement
Trouant la nuit la nuit de verre
Où va mon coeur en régiment
Tes beaux yeux m'envoient leur lumière
Entends batttre mon coeur d'amant
Ce matin vint une mésange
Voleter près de mon cheval
C'était peut-être un petit ange
Exilé dans le joli val
Où j'eus sa vision étrange
Ses yeux c'était tes jolis yeux
Son plumage ta chevelure
Son chant les mots mystérieux
Qu'à mes oreilles on susurre
Quand nous sommes bien seuls tous les deux
Dans le vallon j'étais tout blême
D'avoir chevauché jusque-là
Le vent criait un long poème
Au soleil dans tout son éclat
Au bel oiseau j'ai dit Je t'aime!
2 février 1915
Nous lirons dans le même lit
Au livre de ton corps lui-même
- C'est un livre qu'au lit on lit -
Nous lirons le charmant poème
Des grâces de ton corps joli
Nous lirons dans le même lit
Au livre de ton corps lui-même
-C'est un livre qu'au lit on lit-
Nous lirons le charmant poème
Des graces de ton corps joli
Per te proesentit aruspex
O mon très cher amour, toi mon oeuvre et que j'aime,
A jamais j'allumai le feu de ton regard,
Je t'aime comme j'aime une belle oeuvre d'art,
Une noble statue, un magique poème.
Tu seras, mon aimée, un témoin de moi-même.
Je te crée à jamais pour qu'après mon départ,
Tu transmettes mon nom aux hommes en retard
Toi, la vie et l'amour, ma gloire et mon emblème ;
Et je suis soucieux de ta grande beauté
Bien plus que tu ne peux toi-même en être fière :
C'est moi qui l'ai conçue et faite toute entière.
Ainsi, belle oeuvre d'art, nos amours ont été
Et seront l'ornement du ciel et de la terre,
O toi, ma créature et ma divinité !
Lou mon étoile
Prends-moi dans ta splendeur
Que je sois ébloui et presque épouvanté
Que l'espace bleu se creuse à l'infini
Que l'horizon disparaisse
Que tous les astres grandissent
Et pour finir fais-moi pénétrer dans ton paradis
Que j'éprouve une sensation
De bien-être inouï
Que j'absorbe par toute ma chair toute mon âme
Ta lumière exquise
ô mon paradis
Adieu
L'amour est libre il n'est jamais soumis au sort
O Lou le mien est plus fort encor que la mort
Un coeur le mien te suit dans ton voyage au Nord(...)
La nuit mon coeur la nuit est très douce et très blonde
O Lou le ciel est pur aujourd'hui comme une onde
Un coeur le mien te suit jusques au bout du monde
Si je mourais là-bas...
Si je mourais là-bas sur le front de l'armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l'armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur
Et puis ce souvenir éclaté dans l'espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l'étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l'espace
Comme font les fruits d'or autour de Baratier
Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants
Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l'onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L'amant serait plus fort dans ton corps écarté
Lou si je meurs là-bas souvenir qu'on oublie
- Souviens-t'en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur -
Mon sang c'est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie
Ô mon unique amour et ma grande folie
30 janv. 1915, Nîmes.
J'ai bien cru prendre toute ta beauté et je n'ai eu que ton corps
Le corps hélas n'a pas l'éternité
Le corps a la fonction de jouir mais il n'a pas l'amour
Et c’est en vain maintenant que j'essaie d'étreindre ton esprit
Il fuit il me fuit de toutes parts comme un noeud de couleuvres qui se dénoue
Et tes beaux bras sur l'horizon lointain sont des serpents couleur d'aurore qui se lovent en signe d'adieu
Je reste confus je demeure confondu
Je me sens las de cet amour que tu dédaignes
Je suis honteux de cet amour que tu méprises
Le corps ne va pas sans l'âme
Et comment pourrais-je espérer rejoindre ton corps de naguère puisque ton âme était si éloignée de moi
Et que le corps a rejoint l'âme
Comme font tous les corps vivants
O toi que je n'ai possédée que morte
(IL Y A)
Ville et cœur
La ville sérieuse avec ses girouettes
Sur le chaos figé du toit de ses maisons
Ressemble au cœur figé, mais divers, du poète
Avec les tournoiements stridents des déraisons.
O Ville comme un cœur tu es déraisonnable.
Contre ma paume j'ai senti les battements
De la ville et du cœur : de la ville imprenable
Et de mon cœur surpris de vie, énormément.