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Critique de Malaura


Lorsqu'on ne connaît pas grand-chose à l'art de la versification, le mieux encore est de parler avec son coeur.
Dans « Les yeux d'Elsa » de Louis Aragon (1897-1982), nombreux sont les poèmes qui parlent au coeur.
Mais n'est-ce pas la vertu première de toute poésie, d'imprimer un mouvement de l'âme, un vibrato profond sous le souffle des mots ?
Lire « Les yeux d'Elsa » c'est comme entendre une mélodie douce, languide et langoureuse, comme une eau cristalline qu'on boirait à sa source.
Les mots parlent d'Elsa bien sûr ; Elsa Triolet, elle-même écrivain et femme idolâtrée, muse enchanteresse, compagne au quotidien de l'homme et du poète.
Les vers d'Aragon sont tout empreints de cet amour puissant, sincère et absolu : « Tes yeux sont si profonds qu'en m'y penchant pour boire, j'ai vu tous les soleils y venir se mirer », « Moi je voyais briller au-dessus de la mer, les yeux d'Elsales yeux d'Elsales yeux d'Elsa ».
Mais derrière ces magnifiques vers dédiés à l'être aimé, se love un autre amour, celui-là partisan, c'est celui de la France alors agenouillée sous le poids allemand.
Le recueil fut écrit entre 1941 et 1942, pendant la Seconde Guerre Mondiale : « on trouvait parfois au fond des ruelles, un soldat tué d'un coup de couteau ». La France est alors occupée, Paris est occupée, « reverrons-nous jamais le paradis lointain, les Halles, l'Opéra, la Concorde et le Louvre ».
Pour Aragon, l'engagement passe aussi par la poésie, si bien qu'il n'aura de cesse de dissimuler au détour de ses strophes, sa tristesse devant la débâcle d'une France accablée, endeuillée et contrainte à l'exode.
« Les yeux d'Elsa » sont donc chargés de cette part d'Histoire, à laquelle vient également se greffer le souvenir de la Première Guerre et la splendeur passée de la France d'antan.
Et c'est cela aussi qui donne cette dimension particulière au recueil.
Les images, les symboles affleurent à chaque rime, comme en code caché, les deux amours s'y confondent, celui de la France, celui d'Elsa, enchanté et vibrant lorsqu'il s'agit de la femme, douloureux et poignant lorsqu'il s'agit de la patrie mais toujours abritant une part de tristesse, « France et Amour les mêmes larmes pleurent, rien de finit jamais par des chansons ».

Aragon sait si bien manier les mots et la langue, que ses poèmes revêtent une multitude de formes et d'aspects.
Déclinés en alexandrins, octosyllabes, sonnets ou quatrains, à la manière classique des romantiques du XIXème siècle ou à la façon des poèmes courtois des chevaliers du Moyen-âge, aucun genre poétique ne lui est inconnu et tout est substance à expérience ; « Il n'y a poésie qu'autant qu'il y a méditation sur le langage, et à chaque pas réinvention de ce langage. »
Le poète joue avec les mots, leur imprimant torsion, distorsion, déformation, pratiquant la flexion et l'inversion, créant des brisures et des césures tout à fait originales et nouvelles avec la volonté de « briser les cadres fixes du langage ».
Le mouvement surréaliste auquel il a appartenu le porte naturellement à user des images, des métaphores et des symboles, véritables et merveilleuses trouvailles, à la fois élaborées et raffinées mais toujours empreintes d'une fluidité gracieuse et émouvante.
L'ensemble forme des poèmes mouvants, libres, ondoyants, musicaux.
Le mieux serait sans doute d'être assisté d'un professeur pour nous révéler toutes les subtilités et tous les artifices de la poésie d'Aragon. La présente édition, agrémentée de textes en prose de l'auteur et d'une postface signée Lionel Ray, nous en apporte toutefois un éclairage intéressant et bienvenu.
Pour le reste, laissons-nous simplement porter par ces vers magnifiques qui sont autant de chants et romances d'amour.
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