Les interventions militaires, même couronnées de succès, se sont souvent révélées inefficaces pour restaurer la stabilité et combler la vacance du pouvoir.
La complexité surgit quand la révolution parle à la fois de libération et de liberté ; or, la libération étant de fait une condition de la liberté - même si la liberté n'est en aucun cas une conséquence nécessaire de la libération -, il est difficile de dire où finit le désir de libération, celui d'être delìvré de l'oppression, et où commence le désir de liberté, celui de vivre une vie politique. La question est que la libération de l'oppression aurait fort bien pu se réaliser sous un gouvernement monarchique mais non tyrannique, alors que la liberté d'un mode de vie politique exigeait une forme nouvelle, ou plutôt une forme redécouverte, de gouvernement : elle exigeait la constitution d'une république.
La différence fut que la Révolution américaine - à cause de l'institution de l'esclavage et de la croyance que les esclaves appartenaient à une "race" différente - put ignorer l'existence des misérables, et du même coup s'épargner la tâche formidable de libérer ceux qui n'étaient pas tant contraints par l'oppression politique que par les simples nécessités de la vie. Les malheureux, qui jouèrent un rôle si fondamental dans la Révolution française, laquelle les identifia au peuple, soit n'existaient pas, soit restèrent dans une obscurité complète en Amérique.
Seuls sont qui sont délivrés de la nécessité peuvent pleinement apprécier ce que c'est qu'être libre de toute peur, et seuls ceux qui sont libérés du besoin et de la peur sont capables de concevoir une passion pour la liberté publique et développer le goût particulier pour l'égalité que cette liberté porte en elle.
Être libre et commencer quelque chose de nouveau était perçu comme une seule et même chose.
La liberté désormais signifiait avant tout, "le vêtement, la nourriture et la reproduction de l'espèce" pour les sans-culottes, qui distinguaient soigneusement leurs propres droits de ceux, en langage élevé et, pour eux, dépourvu de sens, dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Comparées à l'urgence de leurs revendications, toutes les délibérations sur la meilleure forme de gouvernement paraissaient soudain futiles et dépourvues de sens.
"La république ? La monarchie ? Je ne connais que la question sociale", disait Robespierre.
Et même si beaucoup de révolutions ont fini en tyrannie, on s'est toujours rappelé aussi que, selon les termes de Condorcet,
"le mot "révolutionnaire" ne s'applique qu'aux révolutions qui ont la liberté pour objet".
Les libertés au sens des droits civiques sont le résultat d'une libération, mais elles ne sont en aucun cas le contenu réel de la liberté, dont l'essence est l'admission dans le domaine public et l'autorisation à participer aux affaires publiques.
Le fait que le mot "révolution" ait signifié à l'origine "restauration" est plus qu'une simple bizarrerie sémantique.
Lire Arendt aujourd'hui, c'est être également invité à retrouver le désir passionné de participer aux affaires publiques: débattre sur la manière dont nous voulons vivre ensemble, et agir politiquement. En ces temps de populisme, de contrôle et de surveillance, ce ne sont pas de vains mots