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Citations sur Oeuvres complètes, tome 4 (39)

TROISIÈME LETTRE

Paris, 9 novembre 1932.

À. J. P.

Cher ami,
Les objections qui vous ont été faites et qui m’ont été faites contre le Manifeste du Théâtre de la Cruauté concernent les unes la cruauté dont on ne voit pas très bien ce qu’elle vient faire dans mon théâtre, du moins comme élément essentiel, déterminant ; les autres le théâtre tel que je le conçois.

En ce qui concerne la première objection je donne raison à ceux qui me la font, non par rapport à la cruauté, ni par rapport au théâtre mais par rapport à la place que cette cruauté occupe dans mon théâtre. J’aurais dû spécifier l’emploi très particulier que je fais de ce mot, et dire que je l’emploie non dans un sens épisodique, accessoire, par goût sadique et perversion d’esprit, par amour des sentiments à part et des attitudes malsaines, donc pas du tout dans un sens circonstantiel ; il ne s’agit pas du tout de la cruauté vice, de la cruauté bourgeonnement d’appétits pervers et qui s’expriment par des gestes sanglants, tels des excroissances maladives sur une chair déjà contaminée ; mais au contraire d’un sentiment détaché et pur, d’un véritable mouvement d’esprit, lequel serait calqué sur le geste de la vie même ; et dans cette idée que la vie, métaphysiquement parlant et parce qu’elle admet l’étendue, l’épaisseur, l’alourdissement et la matière, admet, par conséquence directe, le mal et tout ce qui est inhérent au mal, à l’espace, à l’étendue et à la matière. Tout ceci aboutissant à la conscience et au tourment, et à la conscience dans le tourment. Et quelque aveugle rigueur qu’apportent avec elles toutes ces contingences, la vie ne peut manquer de s’exercer, sinon elle ne serait pas la vie ; mais cette rigueur, et cette vie qui passe outre et s’exerce dans la torture et le piétinement de tout, ce sentiment implacable el pur, c’est cela qui est la cruauté.
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4/
P.-S. — Ce qui appartient à la mise en scène doit être repris par l’auteur, et ce qui appartient à l’auteur doit être rendu également à l’auteur, mais devenu lui aussi metteur en scène de manière à faire cesser cette absurde dualité qui existe entre le metteur en scène et l’auteur.

Un auteur qui ne frappe pas directement la matière scénique, qui n’évolue pas sur la scène en s’orientant et en faisant subir au spectacle la force de son orientation, a trahi en réalité sa mission. Et il est juste que l’acteur le remplace. Mais c’est alors tant pis pour le théâtre qui ne peut que souffrir de cette usurpation.

Le temps théâtral qui s’appuie sur le souffle tantôt se précipite dans une volonté d’expiration majeure, tantôt se replie et s’amenuise dans une inspiration féminine et prolongée. Un geste arrêté fait courir un grouillement forcené et multiple, et ce geste porte en lui-même la magie de son évocation.

Mais s’il nous plaît de fournir des suggestions concernant la vie énergique et animée du théâtre, nous n’aurions garde de fixer des lois.

Certes le souffle humain a des principes qui s’appuient ! tous sur les innombrables combinaisons des ternaires kabalistiques. Il y a six ternaires principaux, mais des innombrables combinaisons de ternaires puisque c’est d’eux que toute vie est issue. Et le théâtre est justement le lieu où cette respiration magique est à volonté reproduite. Si la fixation d’un geste majeur commande autour de lui une respiration précipitée et multiple, cette même respiration grossie peut venir faire déferler ses ondes avec lenteur autour d’un geste fixe. Il y a des principes abstraits mais pas de loi concrète et plastique ; la seule loi c’est l’énergie poétique qui va du silence étranglé à la peinture précipitée d’un spasme, et de la parole individuelle mezzo voce, à l’orage pesant et ample d’un chœur lentement rassemblé.

Mais l’important est de créer des étages, des perspectives de l’un à l’autre langage. Le secret du théâtre dans l’espace c’est la dissonance, le décalage des timbres, et le désenchaînement dialectique de l’expression.
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3/
Le théâtre à l’inverse de ce qui se pratique ici, ici c’est-à-dire en Europe, ou mieux, en Occident, ne sera plus basé sur le dialogue, et le dialogue lui-même pour le peu qu’il en restera ne sera pas rédigé, fixé à priori, mais sur la scène ; il sera fait sur la scène, créé sur la scène, en corrélation avec l’autre langage, et avec les nécessités, des attitudes, des signes, des mouvements et des objets. Mais tous ces tâtonnements objectifs se produisant à même la matière, où la Parole apparaîtra comme une nécessité, comme le résultat d’une série de compressions, de heurts, de frottements scéniques, d’évolutions de toutes sortes, — (ainsi le théâtre redeviendra une opération authentique vivante, il conservera cette sorte de palpitation émotive sans laquelle l’art est gratuit) —, tous ces tâtonnements, ces recherches, ces chocs, aboutiront tout de même à une œuvre, à une composition inscrite, fixée dans ses moindres détails, et notée avec des moyens de notation nouveaux. La composition, la création, au lieu de se faire dans le cerveau d’un auteur, se feront dans la nature même, dans l’espace réel et le résultat définitif demeurera aussi rigoureux et aussi déterminé que celui de n’importe quelle œuvre écrite, avec une immense richesse objective en plus.
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J’ajoute au langage parlé un autre langage et j’essaie de rendre sa vieille efficacité magique, son efficacité envoûtante, intégrale au langage de la parole dont on a oublié les mystérieuses possibilités. Quand je dis que je ne jouerai pas de pièce écrite, je veux dire que je ne jouerai pas de pièce basée sur l’écriture et la parole, qu’il y aura dans les spectacles que je monterai une part physique prépondérante, laquelle ne saurait se fixer et s’écrire dans le langage habituel des mots ; et que même la partie parlée et écrite le sera dans un sens nouveau.
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DEUXIÈME LETTRE

Paris, 28 septembre 1932.

À J. P.

Cher ami,
Je ne crois pas que mon Manifeste une fois lu vous puissiez persévérer dans votre objection ou alors c’est que vous ne l’aurez pas lu ou que vous l’aurez mal lu. Mes spectacles n’auront rien à voir avec les improvisations de Copeau. Si fort qu’ils plongent dans le concret, dans le dehors, qu’ils prennent pied dans la nature ouverte et non dans les chambres fermées du cerveau, ils ne sont pas pour cela livrés au caprice de l’inspiration inculte et irréfléchie de l’acteur ; surtout de l’acteur moderne qui, sorti du texte, plonge et ne sait plus rien. Je n’aurais garde de livrer à ce hasard le sort de mes spectacles et du théâtre. Non.

Voici ce qui va en réalité se passer. Il ne s’agit de rien moins que de changer le point de départ de la création artistique, et de bouleverser les lois habituelles du théâtre. Il s’agit de substituer au langage articulé un langage différent de nature, dont les possibilités expressives équivaudront au langage des mots, mais dont la source sera prise à un point encore plus enfoui et plus reculé de la pensée.

De ce nouveau langage la grammaire est encore à trouver. Le geste en est la matière et la tête ; et si l’on veut l’alpha et l’oméga. Il part de la nécessité de parole beaucoup plus que de la parole déjà formée. Mais trouvant dans la parole une impasse, il revient au geste de façon spontanée. Il effleure en passant quelques-unes des lois de l’expression matérielle humaine. Il plonge dans la nécessité. Il refait poétiquement le trajet qui a abouti à la création du langage. Mais avec une conscience multipliée des mondes remués par le langage de la parole et qu’il fait revivre dans tous leurs aspects. Il remet à jour les rapports inclus et fixés dans les stratifications de la syllabe humaine, et que celle-ci en se refermant sur eux a tués. Toutes les opérations par lesquelles le mot a passé pour signifier cet Allumeur d’incendie dont Feu le Père comme d’un bouclier nous garde et devient ici sous la forme de Jupiter la contraction latine du Zeus-Pater grec, toutes ces opérations par cris, par onomatopées, par signes, par attitudes, et par de lentes, abondantes et passionnées modulations nerveuses, plan par plan, et terme par terme, il les refait. Car je pose en principe que les mots ne veulent pas tout dire et que par nature et à cause de leur caractère déterminé, fixé une fois pour toutes, ils arrêtent et paralysent la pensée au lieu d’en permettre, et d’en favoriser le développement. Et par développement j’entends de véritables qualités concrètes, étendues, quand nous sommes dans un monde concret et étendu. Ce langage vise donc à enserrer et à utiliser l’étendue, c’est-à-dire l’espace, et en l’utilisant, à le faire parler : je prends les objets, les choses de l’étendue comme des images, comme des mots, que j’assemble et que je fais se répondre l’un l’autre suivant les lois du symbolisme et des vivantes analogies. Lois éternelles qui sont celles de toute poésie et de tout langage viable ; et entre autres choses celles des idéogrammes de la Chine et des vieux hiéroglyphes égyptiens. Donc loin de restreindre les possibilités du théâtre et du langage, sous prétexte que je ne jouerai pas de pièces écrites, j’étends le langage de la scène, j’en multiplie les possibilités.
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LETTRES SUR LE LANGAGE

PREMIÈRE LETTRE

Paris, 15 septembre 1931.

À M. B. C.

À cela je répondrai qui si nous nous montrons aujourd’hui tellement incapables de donner d’Eschyle, de Sophocle, de Shakespeare une idée digne d’eux, c’est très vraisemblablement que nous avons perdu le sens de la physique de leur théâtre. C’est que le côté directement humain et agissant d’une diction, d’une gesticulation, de tout un rythme scénique nous échappe. Côté qui devrait avoir autant sinon plus d’importance que l’admirable dissection parlée de la psychologie de leurs héros.
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LETTRES SUR LE LANGAGE

PREMIÈRE LETTRE

Paris, 15 septembre 1931.

À M. B. C.

Que le théâtre soit devenu chose essentiellement psychologique, alchimie intellectuelle de sentiments, et que le summum de l’art en matière dramatique ait fini par consister en un certain idéal de silence et d’immobilité, ce n’est pas autre chose que la perversion sur la scène de l’idée de concentration.
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3/
LETTRES SUR LE LANGAGE

PREMIÈRE LETTRE

Paris, 15 septembre 1931.

À M. B. C.
On peut très bien continuer à concevoir un théâtre basé sur la prépondérance du texte, et sur un texte de plus en plus verbal, diffus et assommant auquel l’esthétique de la scène serait soumise.
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LETTRES SUR LE LANGAGE

PREMIÈRE LETTRE

Paris, 15 septembre 1931.

À M. B. C
À ne considérer la mise en scène que comme un art mineur et asservi, et à quoi ceux mêmes qui l’emploient avec le maximum d’indépendance dénient toute originalité foncière, vous avez mille fois raison. Tant que la mise en scène demeurera, même dans l’esprit des metteurs en scène les plus libres, un simple moyen de présentation, une façon accessoire de révéler des œuvres, une sorte d’intermède spectaculaire sans signification propre, elle ne vaudra qu’autant qu’elle parviendra à se dissimuler derrière les œuvres qu’elle prétend servir. Et cela durera aussi longtemps que l’intérêt majeur d’une œuvre représentée résidera dans son texte, aussi longtemps qu’au théâtre art de représentation, la littérature prendra le pas sur la représentation appelée improprement spectacle, avec tout ce que cette dénomination entraîne de péjoratif, d’accessoire, d’éphémère et d’extérieur.
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LETTRES SUR LE LANGAGE

PREMIÈRE LETTRE

Paris, 15 septembre 1931.

À M. B. C.

Monsieur,
Vous affirmez dans un article sur la mise en scène et le théâtre : « qu’à considérer la mise en scène comme un art autonome on risque de commettre les pires erreurs »,

et que :

« la présentation, le côté spectaculaire d’un ouvrage dramatique ne doivent pas faire cavalier seul et se déterminer en toute indépendance. »

Et vous dites en outre que ce sont là des vérités premières.
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