Pour Al-Ghazâlî, la mendicité est illicite au faqîr, à supposer toujours qu’il ait ce qui lui est strictement nécessaire pour subsister ; un habit du plus vil tissu, une habitation capable de le préserver ds rigueurs du climat, un pain d’orge accompagné d’un condiment grossier ; et cela, en se limitant à la seule journée présente, parce que toute prévision pour l’avenir est déjà une imperfection pour l’ascète. Il permet de mendier pour le lendemain, uniquement à celui qui doute fortement qu’il ne pourra le faire alors.
Ces restrictions imposées par Al-Ghazâlî aux soufis mendiants ne s’appliquent pas, il est vrai, à ceux qui mènent leur vie dans une retraite ; dans ce cas, celui qui doit servir les soufis (khâdim as-sûfiyya) peut exercer la mendicité dans le but de pourvoir à la subsistance de ses frères. Mais d’autres restrictions sont néanmoins indiquées, qui rendent illicite non seulement la demande, mais l’acceptation de l’aumône, même non sollicitée.
Ainsi, le faqîr est celui qui sert le groupe ne pouvant recevoir aucun objet qui soit, certainement ou probablement, illicite (harâm), ni même un objet licite (halâl), de la main de celui qui le donne dans un but mondain (vanité, ostentation, etc.) ; ce serait, en ce cas, coopérer au péché du riche. Le pauvre doit également s’abstenir d’accepter l’aumône (sadaqa), s’il sait ne pas réunir, en sa personne, les qualités que lui suppose le donateur, la sainteté par exemple, si l’aumône lui est faite pour obtenir sa baraka. Il est même, dans ce cas, tenu à la restitution. On a rapporté que l’Imâm Ali a dit :
« Az-Zuhd (vie de pauvreté) est de posséder tout et n’être possédé par rien… »
La pauvreté volontaire ne sous-entend aucune passivité dans la vie de tous les jours ni aucune résignation dans les combats de la vie, c’est surtout un état d’esprit que le mystique doit acquérir, une victoire sur le Moi qui désire les richesses pour son bon plaisir, alors qu’il doit les désirer et les utiliser pour le bon plaisir de Dieu. Et si telle est la pauvreté, alors la richesse devient n’avoir besoin de rien, vivre de peu et non avoir tout ou presque tout, car « la vie est comme l’eau de mer pour l’assoiffé, plus il en boit, plus il a soif », disait l’Imâm Ali. (pp. 52-54)