Je ne vais pas y aller par quatre chemins et dire tout de suite que j'ai vainement attendu d'être vraiment passionnée par ce roman. Pourtant, je l'ai lu jusqu'au bout et n'ai jamais eu envie de l'abandonner.
Paradoxal, mais essayons d'expliquer pourquoi.
L'histoire d'abord. Nous sommes à Usha, petite ville située au nord de l'Afghanistan. Dans la maison de Marcus, médecin anglais converti à l'Islam par amour, plusieurs personnes vont se croiser, des personnes meurtries, abimées, chacune portant son poids de malheurs et de douleurs : Marcus, dont la femme Qatrina a été lapidée pour cause de mariage non valide (une femme a marié Marcus et Qatrina), est à la recherche de son petit fils. La fille de Marcus et Qatrina a été assassinée il y a quelques années par les talibans. David, un ancien agent de la CIA est à la recherche de Casa, un jeune terroriste, tandis que Lara, une jeune femme russe, est à la recherche de son frère disparu depuis l'invasion de l'Afghanistan par l'armée russe. Une maison isolée, où les livres sont cloués au plafond, où les murs sont recouverts de fresques et de peintures, qui abrite dans son sous-sol une tête de bouddha soigneusement enfouie.
Des personnages qui se croisent, donc, qui se cherchent et ne se disent pas tout : c'est là que parfois j'ai eu du mal à raccrocher leurs histoires : les pistes sont souvent brouillées et de nouvelles informations viennent emmêler les récits, percuter ce que l'on connait des personnages et emmêler le tout. Les récits s'imbriquent avec les uns les autres, revenant en arrière, retournant au présent, arrosant le tout d'informations sur l'histoire de l'Afghanistan qui parfois m'ont fait l'effet de cours magistral d'histoire. Intéressant mais parfois ennuyeux.
Intéressant parce que, je dois l'avouer, j'ai aimé en apprendre davantage sur l'histoire de ce pays. J'ai aimé me plonger dans les racines d'un écartèlement violent qui a ravagé un pays d'une richesse culturelle incomparable. J'ai aimé sentir l'amour inaltérable que porte l'auteur à son pays et en sentir les senteurs, en deviner l'incroyable beauté et richesse culturelle cachée derrière la barbarie, qu'elle soit née de l'invasion russe, de la folie des intégristes ou de la vengeance américaine (« L' Afghanistan devint un terre dont l'assise était la peur et non le roc où la terreur avait remplacé l'air que l'on respirait ».).
Ennuyeux parce que le style, tout en étant à la fois une ode cristalline à son pays, est en même temps enveloppé d'une sorte de torpeur languide qui reflète évidemment cette attente dans laquelle sont plongés les personnages et ce pays.
Je reste partagée donc. Mais je vous propose un extrait que j'ai aimé, parce qu'il le vaut bien :
« Comment faire le compte des choses désormais perdues ? Pour lui. Pour ce pays. Les quarante sept noms dont dispose l'amoureux pour s'adresser à sa bien-aimée sont-ils préservés quelque part ? Les tables de l'étiquette. Et ce détail unique, vital, propre à chaque situation, qui révèle la personnalité et les intentions d'une personne : Mon ami avait hésité avant de rentrer chez moi, aussi savais-je que je pouvais lui faire confiance. Quelqu'un se souvient-il des boucles et des arabesques bleu-noir à la surface de l'eau, des longs méandres sinueux tracés par le khôl coulant des yeux des femmes qui se lavaient le visage à l'aube dans le lac ? Et cette histoire, s'en souvient-on ? Comme si le clair de lune illuminait brusquement leur sommeil, les hommes d'Usha s'étaient réveillés une nuit pour dé couvrir des colonnes d'or miroitant qui descendaient vers eux du haut des montagnes, et sentir un souffle animer la nuit tandis qu'ils regardaient venir, ébahis, les centaines de piliers de lumière, aussi incroyablement réels qu'une image vue en rêve, et c'est alors que les femmes, car c'étaient elles, approchèrent et écartèrent le devant de leurs burqas pour révéler que l'envers de chaque vêtement était piqueté de lucioles, une par centimètre carré de tissu, qui faisaient scintiller leur peau. Les épouses s'en étaient allées capter ces éclats de lumière effrangée, pour revenir, telles des lanternes vivantes, avec des habits luminescents. Leur peau réagissait au stimulus chaque fois que l'aile d'un insecte la frôlait avec quelque insistance, faisant naître le désir dans le coeur des hommes. Les époux s'étaient promptement endormis quelques heures plus tôt après en avoir fini avec les labeurs du monde, la fatigue envahissant leurs membres comme une eau bouillonnante, un épuisement tel qu'ils en voulaient parfois à leur ombre d'être lourde à traîner. Et s'ils se sentaient furieux à présent à l 'idée d'avoir été abandonnés pendant leur sommeil, ils veillèrent à mesurer leurs paroles, car ils savaient que seule la femme peut décider de qui mérite le nom d'homme.
Quelqu'un d'autre se souvient-il de cette nuit ?
Il y a des millions de marques d'amour sur la terre, runes et caractère cunéiformes sur l 'eau, et jusque dans l'air. C'est dans la sagesse des milliers de Salomon. La trace d'une appartenance commune. le texte originel. Dans les endroits où ceux qui savent lire et écrire sont rares, chaque individu est le dépositaire fragile des chants et de cérémonies, de contes et d'histoires, et s'il disparaît sans transmettre son savoir, c'est une aile de la bibliothèque qui part en fumée. »
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