Citations sur Japon : L'empire de l'harmonie (23)
La ville elle-même, dans son écrin de montagnes, a toujours une grâce indicible : les innombrables jardins, que l'on n'a jamais fini de découvrir, la féerie des mousses, des érables et des ginkgos à l'automne, le rose vaporeux des cerisiers au printemps, les avenues spacieuses le long desquelles on file à vélo, la rivière Kamo, surplombée de terrasses où il fait bon dîner les soirs d'été. Sur les berges se croisent familles, étudiants, amoureux, retraités. Les uns promènent leur chien, d'autres font du jogging, jouent de la musique, ou contemplent, assis sur un banc, le ballet des aigrettes et des buses, les canards au fil de l'eau, les collines bleues toutes proches. Le canal de Kiyamachi, bordé de saules et de cerisiers, traversé de petits ponts, offre un choix inépuisable de petits bars à saké, clubs de jazz, cafés, restaurants, branchés ou traditionnels, fréquentés par la jeunesse locale (car Kyoto est une ville étudiante, qui abrite entre autres la très réputée Université de Kyoto). Nicolas Bouvier avait raison : cette ville est bien "une des dix au monde où il vaut la peine d'avoir vécu".
L’évitement est une clé du comportement japonais. On apprend dès l’école maternelle que le respect du collectif et l’attention à l’autre doivent primer sur l’affirmation de soi. D’où une certaine « timidité » très japonaise, et une tendance à se plier – en apparence – au consensus général, l’opinion personnelle étant réservée à la famille et aux amis.
Les Japonais sont respectueux de tous les cultes, quels qu'ils soient, et ont gardé un sens du rituel qui fait souvent défaut dans les pays développés. Plus que des religions, bouddhisme et shintoïsme sont des modes d'être inscrits de longue date dans les mentalités. Au moment de l'introduction du bouddhisme sur l'Archipel, au sixième siècle, via la Corée, les notions d'impermanence et d'interdépendance des phénomènes du vivant ont dû s'intégrer sans mal au fonds antérieur de croyances animistes et chamaniques qui considèrent l'être humain à égalité avec les autres formes de vie, inscrit comme elles dans le grand cycle de la nature. Pour se distinguer de cette nouvelle religion, les anciennes croyances présentes depuis de nombreux siècles sont regroupées un peu plus tard sous le nom de shinto ("voie des kami"). Loin, bien loin du monothéisme et de la notion d'un dieu créateur transcendant, l'âme japonaise est vouée à l'immanence d'un "moi" peu défini, qui se confond avec son environnement. La langue même en porte la marque : le sujet n'est pas obligatoire dans la phrase japonaise, d'où le "je" est souvent absent. Une scène peut être décrite comme existant par elle-même, sans aucun sujet : à partir du réel lui-même, non à partir d'un témoin central tout-puissant, comme dans les langues occidentales.
Au Japon on a tendance à privilégier la cohésion et à éviter les conflits pour préserver la paix de la communauté, plutôt que se considérer comme des individus pensant différemment les uns des autres et pouvant exprimer clairement leur avis, quitte à trouver des compromis en cas de désaccord. Le précepte "l'harmonie doit être respectée et toutes les discordes évitées" est connu comme le fondement même du sens des valeurs japonaises. On considère l'esprit d'entente comme la vertu suprême, tandis que le comportement égoïste est méprisé. Cela rend la vie en société agréable, c'est un fait. Mais les Japonais ont, comme tout le monde, des personnalités différentes, et il y a forcément des frictions. Si on veut les éviter à tout prix, oppression et exclusion deviennent nécessaires.
La recherche de l’harmonie en toutes choses : ne serait-ce pas au fond la clé de l’âme japonaise ?
Intégrer des influences étrangères sans pour autant renoncer à sa « japonité » propre a toujours été une caractéristique du pays du Soleil Levant.
64 décès de travailleurs de la centrale ont été officiellement reconnus comme étant dus à la radioactivité, mais l’omerta règne sur les conséquences sanitaires de l’accident pour la population. Réponse des autorités, interrogées sur les 153 cas de cancers de la thyroïde déjà relevés chez les moins de 18 ans de la région de Fukushima : ils ne peuvent, au stade actuel des études, être attribués avec certitude aux retombées radioactives.
Tous les arts japonais cultivent ainsi le goût de l’imperfection, du fragment, du détail : il s’agit toujours d’être au plus proche de la vie, et non d’un idéal abstrait.
A la fois visionnaire et rattachée au Japon ancestral, Naoshima témoigne d’une capacité typiquement japonaise à concilier les extrêmes : ne pas choisir entre passé et présent, tradition et modernité, dehors et dedans, mais se tenir à la lisière, comme sur l’ « engawa » des maisons traditionnelles. Concevoir les éléments d’une architecture, d’un repas, d’un vêtement, en fonction d’un lieu, d’une situation, d’une saison donnés, afin qu’ils s’y intègrent sans heurt. Privilégier la fusion entre les éléments, non leur séparation. Préférer l’esprit collectif à l’individualisme, la conciliation à la confrontation.
Beaucoup de Japonais sont à juste titre pessimistes sur l'avenir du pays, pour l'une ou l'autre de ces raisons, ou pour l'ensemble : possibilité d'un désastre écologique majeur, peur d'un krach financier, sentiment de menaces sur la sécurité du pays, déclin de la culture, vieillissement de la population et dénatalité, encore que, sur ce point, le Japon étant fortement peuplé, on ne prendra la pleine mesure du problème que d'ici quelques années. Il y a aussi, tout simplement, une sensation diffuse de perte de sens, inscrite dans le quotidien.