On ne ment pas à la mer, jamais. Je peux vivre librement. J'ai tant souffert de toujours cacher, de paraître gai, entreprenant, battant, alors que j'avais tant de peine à simplement me sortir du lit.
Vivre autrement amène à penser autrement.
Je n'arrive pas à croire ce que je lis. Cela ne ressemble tellement pas à papa. Il a toujours été si enthousiaste, énergique. Est-ce possible qu'une personne soit deux choses si différentes à la fois ?
Rire de soi, c’est bien la seule élégance qui reste, au milieu de cette vie cadrée et réglementée.
La vie est un grand jeu. Nous avons des cartes dans les mains à la nais sance, mais rien n’empêche de piocher dans le paquet, d’essayer de se mettre dans une autre peau. Vous voyez, mes chéris, il faut parfois inventer les règles au fur et à mesure que l’on joue. Ce serait trop triste que tout soit déterminé à l’avance. Il faut tenter des expériences, on peut toujours y découvrir quelques clés inattendues de l’existence.
La nuit tombe, enfin. La côte n'est que clignotements, lueurs et pinceaux de phares. Le monde des humains n'existe plus que pas ses lumières..
Les événements qui se sont produits à cette époque étaient si inattendus et déchirants, que je ne les ai longtemps pas regardés en face. Ils me réveillaient certaines nuits comme on l’est par un robinet mal fermé dont le discret ploc-ploc s’insinue au fond du cerveau. Je les chassais ensuite de mon quotidien.
Si j’avais pu continuer mes études, j’aurais été un bon mathématicien. J’ai toujours été fasciné par ces langages. Le mathématicien n’a rien que son crayon et sa feuille et il invente des mondes. Rien ne lui résiste, il lui suffit de poser quelques théorèmes et il dompte la réalité, la met en formules et en équations. Qui d’autre jongle tous les jours avec le zéro et l’infini ? La mathématique est l’art le plus créateur jamais sorti de l’esprit humain. La trigonométrie, l’algèbre, le calcul différentiel, la théorie des ensembles, les nombres complexes, chacun de ces langages fait sens dans l’univers. En le décrivant, il le crée.
Ce matin, les yeux ou plutôt l'œil de la mer a réapparu. Je l'ai clairement vu au petit jour. Quand je suis sorti sur le pont, je n'ai vu que lui. Il était profondément enfoncé sous la surface, à demi ouvert, la pupille vague, incertaine, rêveuse. Le train des vagues dessinait des cils sombres. J'ai bien sûr repensé à l'œil de Caïn et je me suis senti honteux, pris en faute.
La vie est un grand jeu. Nous avons des cartes dans les mains à la naissance, mais rien n'empêche de piocher dans le paquet, d'essayer de se mettre dans une autre peau. Vous voyez, mes chéris, il faut parfois inventer les règles au fur et à mesure que l'on joue. Ce serait trop triste que tout soit déterminé à l'avance. Il faut tenter des expériences, on peut toujours y découvrir quelques clés inattendues de l'existence.