Elle n'avait jamais aimé jusque-là, sinon en se forçant, pour la forme, pour que sa main prenne celle d'un petit ami quand elle sortait.
Ce n'est pas la solitude qui l'effrayait mais l'absence et avec cette absence, l'impression d'une raréfaction des possibles alors que si souvent par le passé, elle s'était au contraire persuadée que le fait d'être privée de Jonas serait une façon de revenir à la case départ pour explorer d'autres vies. C'est ainsi qu'elle avait vécu, elle le comprenait maintenant : de façon segmentée, comme si chaque fois un changement de route, une bifurcation était encore envisageable, et elle réalisait à présent, que pour vivre de la sorte sur le fil, il lui avait fallu une confiance inébranlable mais qui d'autre que Jonas lui avait donné cette confiance ?
Dans cette ville où tout était nouveau Sonia n'avait pas d'amis, pas de famille, personne, mais elle se sentait ivre de bonheur, délivrée de tout ce qui pouvait encombrer sa fulgurante et merveilleuse entrée dans le monde des adultes.
Elle aimait écrire, elle aimait dessiner, elle aimait danser, elle aimait le piano, la littérature, la poésie, mais la scène, toujours lui avait paru le seul espace où atteindre au bonheur en conjuguant en une fois toutes les passions qui criaient famine en elle.
Toi, tu es une fille du sud, une fille des îles. Soleil et mer. Sables et cocotiers… Moi, je suis falaise et ciel gris…
(p. 151)
Sonia réalisa alors qu'elle avait vécu dans un monde où tout paraissait éternel, parce que c'était cela être jeune: croire que rien ne disparaissait.
Il n'y a pas de vie rangée une fois pour toutes. On essaie d'ordonner un peu mais il faut se résigner au fait que la vie est un magnifique bordel !
On en a profité ensemble, on ne s'est rien refusé, tu sais! Nous avons eu tout ce qu'on peut rêver d'avoir: l'amour, l'aisance et même l'impression d'être utiles... Mais le temps semble toujours manquer quand on est heureux...
Nous ne sommes jamais aussi inutiles que quand nous pensons faire de grandes choses.
Se retourna et se leva dans un même élan. Puis se serra contre lui, sur la pointe des pieds, les bras accrochés à sa nuque. C'était la troisième fois qu'elle se pendait à son cou depuis la veille. On n'avait pas inventé meilleure position pour donner et recevoir de l'amour en même temps. (…) Elle respirait l'odeur du savon sur sa peau, fermant les paupières comme si elle avait pris le temps d'en engranger toutes les nuances pour être sûre de s'en souvenir plus tard.