"Qui ne se souvient pas, avec tendresse, parfois un peu plus, d'un professeur en particulier et dont le rôle a été décisif, à un moment où à un autre ? " C'est la première question que pose
Mona Azzam dans le prologue de son nouveau roman,
Amine. le ton est donné, la question trouve résonnance, le lecteur ne peut désormais rester indifférent au récit.
En ce mois de décembre 1995,
Amine fraîchement débarqué, avec sa famille, du Sahel à Annecy, ayant pour seuls bagages à peine deux mots de français, va connaître, en entrant au collège en classe de sixième, la double peine de la différence et de la barrière linguistique. Ne pas parler la langue de ceux qui vous entourent est un véritable handicap dans un lieu où elle est le seul moyen d'être intégré, d'accéder à la connaissance et à l'apprentissage.
Amine était condamné à cet isolement et à ce naufrage, si Madame Maya, son professeur de français, n'était venue à la rescousse. On repense alors à Ulysse et à Maimouna dans le précédent roman de
Mona Azzam,
Ulysse a dit.
Les mots de
Mona Azzam sont envoûtants et le miracle se produit à chaque fois. Ainsi
Amine, comme Maïmouna, pénètrent dans votre univers. Maya comme Ulysse, deviennent proches. Vous les aimez. Ils détiennent cette parcelle d'humanité et de vérité, ils ont ce goût des mots et ce besoin de transmettre, qui touchent et font entrevoir que le beau côtoie le plus terrible, le lumineux le plus sombre. Leur message ne peut rester lettre morte, il doit être entendu, partagé. Ainsi le monde pourra grandir en humanité et en fraternité, en amour tout simplement.
Mona Azzam en est le scribe, si talentueux.
Le sauvetage d'
Amine se fera par la transmission des mots, du langage. Madame Maya par sa patience, le temps donné sans compter, les encouragements, sa confiance, donnera à
Amine les ailes nécessaires à son envol. Mais le prix à payer de cette réussite leur coûtera cher. Rumeurs, jalousie, calomnie, rien ne leur sera épargné.
Si la transmission des mots et de la langue fut salutaire, libératrice, elle fut vite considérée comme une trans-mission, un dépassement, un franchissement des limites de la mission de professeur. Un jugement qui condamnera Maya à la mise à l'écart et plongera
Amine dans un nouvel enfermement, celui de bouc émissaire. Et l'on pense alors à
René Girard, à
Albert Camus, à André Cayatte et d'autres encore.
Mais de bouc émissaire à héros, il n'y a souvent qu'un pas,
Amine en fera l'expérience. Les mots transmis et reçus lui ouvriront les portes de l'écrit et avec lui la reconnaissance de ses pairs.
Les armes des mots sont toujours les plus fortes.
Amine les saisira, elles le rendront victorieux. Ce sont elles aussi, que
Mona Azzam utilise pour combattre l'injustice et défendre le droit à l'éducation et à l'accès à la connaissance, afin de gagner dignité et liberté, elles encore, pour donner le goût de la langue, la servir quoiqu'il en coûte et procurer un réel plaisir au lecteur.
Quelques vingt ans plus tard,
Amine, tout comme Théo, son seul ami de l'époque, reviennent à Annecy à la demande d'Elsa la notaire de Maya, récemment décédée. Avec ce retour, s'opère la résurgence du passé dans ce récit à deux voix qui se font écho, celle d'
Amine et de Maya, rejointes par celle de Théo et complétées par Elsa, celle aussi de Monsieur C, principal du collège, voix de la lâcheté et de la mauvaise conscience.
Nombreuses sont les questions qui passent dans la tête des personnages et ponctuent les pages du livre de leurs points d'interrogation qui viennent vriller nos certitudes et invitent à prendre position.
Amine est un roman qui interpelle, un récit prenant avec des personnages habités et attachants, un témoignage criant de vérité sur le métier et la vocation d'enseignant, une magnifique histoire d'amitié et de fidélité, un texte puissant aux messages forts qui secouent et, toujours et encore, l'écriture poétique de
Mona Azzam qui touche et adoucit.
Comment ne pas être attendri par
Amine, admiratif de son courage, touché par sa reconnaissance envers son professeur ?
Comment rester insensible devant la générosité de Maya, sa détermination et sa délicatesse ?
Madame Maya, un professeur hors pair ?
Et
Mona Azzam ? Qui ne se souvient pas, avec tendresse, parfois un peu plus, d'un professeur‐romancier-poète en particulier et dont le rôle a été décisif, à un moment où à un autre ?