C'est une proche, bretonne jusqu'au bout des ongles, qui m'a mis ce livre entre les mains.
J'ai dû faire une exception à ma règle, car il est très rare que je lise des livres écrits par des peoples et encore moins écrits par des personnages politiques.
J'ai cette constante suspicion, que ces personnes ne sont peut-être pas toujours les auteurs de leurs propres ouvrages.
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Bref, je me suis plongé dans la vie de
Corentine, la grand-mère de l'auteure.
Cette femme issue d'une famille nombreuse et de parents pauvres bretons, a eu un destin qui fût malheureusement semblable à celui d'autres femmes de son époque.
Car la misère était grande en ce début du XXe siècle, surtout dans cette région de France où la vie en compagne était rude, où les hivers étaient froids et dévastateurs.
Comme dans d'autres régions pauvres de France, les gens avaient peu d'argent et avaient en conséquence du mal à manger à leur faim.
Dans les familles nombreuses qui possédaient quelques terres et une fermette, toutes et tous à l'âge de travailler parfois très jeunes, contribuaient aux tâches quotidiennes difficiles.
Avant les lois de
Jules Ferry en 1882, rendant l'école laïque et gratuite, les seules institutions éducatives étaient tenues par des religieux.ses.
Mais le constat est effarant de voir qu'en Bretagne et ailleurs à la fin du XIXe siècle, beaucoup trop d'enfants n'étaient pas scolarisés.
Et l'analphabétisme était encore plus répandu chez les filles. Les parents paralysés par des traditions rigides et rigoristes, préféraient garder leurs filles ainées à aider aux travaux de la maison, à aider à élever les plus petits de la famille ou à les envoyer comme servantes dans des familles aisées.
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C'est ainsi qu'en 1897, que
Corentine la petite paysanne illettrée et sans avenir, fut vendue par ses parents, à l'âge de sept ans à des marchands de chevaux.
La jeune fille, bien que courageuse, décidée et docile, va alors découvrir ce que sera sa nouvelle et misérable vie de servante, de bonne à tout faire, de petite « bouseuse. »
Il est vrai que les bretons ont souvent été traités de « bouseux » et « d'arriérés » par une partie des français. Peut-être dû à l'emploi de leur langue bretonne et dont personne ne comprenait mot, à part les bretons eux même.
C'est ce même breton, méprisé que l'armée française envoyait le plus souvent au front.
Pendant la guerre de 14-18, les officiers auraient offert du mauvais vin pour donner du courage à ces gens de la terre qui étaient habitués à boire du cidre.
Ce qui aurait permis d'envoyer tous ces soldats bien enivrés, en première ligne et d'en faire de la chair à canon.
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Me revoilà avec
Corentine, la petite bretonne bouseuse, avec sa vie « traîne-misère ».
Elle s'est mise au service de plusieurs familles aisées. Des familles qui n'ont jamais aucune compassion pour leurs servantes, qu'elles vomissent, qu'elles exploitent, qu'elles insultent, qu'elles bousculent, qu'elles sous-paient. Et qu'elles logent dans des conditions parfois déplorables et indignes.
Mais pourquoi ces petits et ces grands bourgeois auraient-ils de la commisération pour cette vermine ? Pour ces jeunes paysannes insignifiantes et incultes, soupçonnées de voler, de chaparder lorsque les maîtres ont le dos tourné.
Et pour ajouter de la peine à leur peine, les employées auront aussi à gérer les jalousies, les commérages des autres servantes et des autres domestiques de la maison. Car dans ce monde ci-bas, il n'y a pas beaucoup de solidarité, c'est du chacun pour soi.
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Il fallait que toutes ces jeunes filles soient bien démunies financièrement pour pouvoir encaisser sans broncher toutes les humiliations que leurs maitresses de maison leur faisaient odieusement subir.
Et voyez-vous, non seulement toutes ces filles avaient à accomplir leurs tâches quotidiennes des plus ingrates parfois, à la limite de l'esclavage, mais elle avait aussi à subir très souvent les violences sexuelles de leurs patrons et de leurs maitres.
Car n'en déplaise aux féministes qui vont incomber la faute au patriarcat, c'était toute une société bourgeoise de l'époque qui était corrompue et qui vivait dans hypocrisie.
Il était d'usage courant, en ce début du XXe siècle, que la matrone dans ces familles aisées, faisait chambre à part avec son mari, dès le deuxième ou troisième accouchement.
Le couple gardait bien-sûr la face en public et l'épouse consentait souvent à que son mari volage aille « se soulager » en « troussant les bonnes. »
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Beaucoup de ces patrons violeurs ne prenaient pas de précaution.
C'était toujours de véritables drames lorsque les servantes se découvraient enceintes.
Pas de salut pour ces pauvres filles-mères qu'on couvrait d'opprobre. Elles étaient très vite virées comme des malpropres, comme des fautives par leurs maitres et maitresses.
De la misère et de la précarité s'ajoutaient encore à leur misère. Garder l'enfant était pour certaines une charge supplémentaire, une déchirure, un désarroi.
D'autres allaient voir « des tricoteuses » qui avortaient les malheureuses parfois dans des conditions d'hygiènes douteuses.
Que d'infortune ! Que de larmes ! Que de moment de solitude ont dû vivre toutes ces jeunes femmes, éprouvées dans leur chair et dans leur coeur !
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Corentine aura eu ce maigre répit de n'avoir subi aucune violence sexuelle. Mais le destin continuera de s'acharner sur elle. Après des années à faire « la bonniche » dans différentes familles bourgeoises, elle rencontra Jules le Bris, l'homme qui bouleversera sa vie, mais qui disparaitra aussi et malheureusement très vite.
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«
Corentine » est finalement un beau et poignant témoignage, un de plus que je viens de lire.
L'auteure s'est surtout attardée à décrire avec délicatesse, le bien triste visage de la condition de la femme en Bretagne de ce début d'avant-guerre de 1914.