la mémoire du temps: une plongée ordinaire

D’un battement de palme, elle amorça sa descente, puis se faufila entre les failles de roches sombres pour s’enfoncer dans un immense herbier de fucus. Les plongeurs l’appelaient le « hot spot ». Il foisonnait d’une biodiversité impressionnante, ce qui le rendait parfait pour sa recherche de l’insolite et du sauvage : à côté de tous ces sites anthropiques pollués par un trop grand nombre de touristes, souvent néophytes en matière de faune et flore marine.

Absorbée par la beauté féerique du lieu, plongée dans cette béatitude propre à cet état d’apesanteur, elle entendit le crépitement du silence. Ressentit les variations des températures, accusa un sentiment de vertige et éprouva dans toutes les fibres de son corps cette sensation incomparable d’être vivante : un plaisir brut, un désir intense. Sa respiration se régula, et peu à peu, elle revint à elle.

Elle prit le temps d’examiner les alentours, se gardant d’effectuer des mouvements brusques qui mettraient la faune en fuite et pourraient endommager la flore. Fascinée, elle en oublia son appareil photo. Elle contempla la vie trépidante de l’herbier, le ballet fantastique et aérien d’un banc de sardines juvéniles, scintillant sous la luminosité si particulière en ce jour. C’est la raréfaction de l’air qui la ramena à la réalité. En suivant des gobies nageurs, elle remonta en douceur pour reprendre son souffle.

Elle inspira et expira longuement. Puis, son rythme cardiaque calmé, elle replongea, bien décidée à immortaliser le spectacle grandiose qui défilerait sous ses yeux.

Elle se stabilisa sur le sable et photographiait méthodiquement cette exubérance sous-marine lorsque son regard fut happé par une scène surréaliste : deux oursins accrochés à flanc d’un énorme bloc sombre, flirtaient avec une splendide éponge d’un orange vif éclatant, gardée par une holothurie à demi-dressée. Sourire aux lèvres devant l’étrangeté de cette vision, elle mitrailla encore quelques secondes ce décor, et s’éloigna en frôlant accidentellement un spirographe qui rétracta immédiatement son panache de tentacules. Ensuite, Meav se dirigea vers une gorgone qui s’agitait sous l’œil intéressé d’une roussette.

Elle les flasha sans relâche, avant de remonter, à bout de souffle, à la surface de l’eau.

Suffocante, elle se força à respirer profondément en évitant les vagues qui s’étaient formées. Le vent aussi avait forci.