D’abord les principes : puisque l’instruction est libératrice des hommes, qu’elle soit aussi "universelle” , “ égale" et “ complète” que possible (1). Qu’elle assure à chacun non pas l’égalité naturelle, qui n’existe pas, mais l’égalité des chances d’accéder à la connaissance : "Nous n’avons pas voulu qu’un seul homme dans l’Empire pût dire désormais : la loi m’assurait une entière égalité de droits, mais on me refuse les moyens de les connaître." Qu’elle reconnaisse à tous le même droit au savoir (2). Qu’elle ouvre au citoyen, tout au long de sa vie, la possibilité d’aprendre et d’accroître ses connaissances (3). Instruction universelle pour les enfants, égale pour les femmes et les hommes, les pauvres et les riches (4), permanente pour les adultes : telle doit être l’éducation qu’une Nation libre proposera à ses citoyens.
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L’instruction, à tous les niveaux, sera gratuite. La Nation ne doit pas monnayer le savoir. Les enfants pauvres pourront obtenir des bourses qui les mettront à égalité de chances avec les enfatns riches. Le dimanche, instituteurs et professeurs assureront au peuple des campagnes et des villes le complément d’éducation qui maintiendra vivante en chacun la flamme des Lumières. Condorcet entrevoit que le travail industriel, par la division et la répétition de ses tâches, risque de faire naître "une classe d’hommes incapables de s’élever au-dessus des plus frossiers intérêts". Il faut donc, par une instruction continue, offrir à ces travailleurs "une ressource contre l’éffet infaillible de leurs occupations journalières”.
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L’instruction doit être l’instrument privilégié de la libération de l’esprit humain. Or le risque est toujours grand qu’elle devienne au contraire le moyen privilégié, pour un pouvoir, d’asservir la pensée. Dès lors, il ne saurait y avoir d’éducation publique que libre, protégée contre tout dogmatisme, et ouverte à la raison critique. L’Instruction publique ne sera donc asservie à aucune doctrine politique (5) : c’est le principe de neutralité de l’école. Elle ne sera assujettie à aucune autorité religieuse (6) : c’est le principe de la laïcité de l’école. Elle ne sera soumise à aucun dogme intellectuel (7) ni pédagogique : c’est le principe d’objectivité de l’école. "L’indépendance de l’instruction fait en quelque sorte partie de droits de l’espèce humaine ", écrit Condorcet qui ajoute superbement : "Puisque la vérité seule est utile, puisque toute erreur est un mal, de quel droit un pouvoir, quel qu’il fût, oserait-il déterminer où est la vérité, où se troue l’erreur?" Seul le mouvement de la raison, seule la difficile recherche de la vérité ouvrent à la pensée la voie d’avancées infinies.
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"Ni la Consitution française ni même la Déclaration des Droits de l’homme ne seront présentées à aucune classe de citoyens comme des tables descendues du ciel, qu’il faut adorer et croire…Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain ces opinions de commande seraient d’utiles vérités; le genre humain n’en resterait pas moins esclave
Se donner la mort comme un Romain, c'est, pour Condorcet, dérober à ses ennemis la satisfaction de son supplice, et mourir comme il a toujours voulu vivre, en homme maître de son destin.
Si le vote d'une Constitution est toujours un acte politique, tout projet de Constitution exprime une pensée politique, une certaine conception de l'organisation de la société et du gouvernement des hommes. le projet de Condorcet est ainsi révélateur de sa vision de la République : "J'ai toujours pensé, écrit-il, qu'une Constitution républicaine ayant l'égalité pour base était la seule qui fût conforme à la nature, à la raison et à la justice, la seule qui peut conserver la liberté des citoyens et la dignité de l'espèce humaine".
A qui bon donner la liberté civile ou politique à des hommes et à des femmes qui demeureraient prisonniers de l'ignorance, du fanatisme, de la superstition ? Seule l'instruction est libératrice. Mais qu'elle instruction donner à des hommes libres ?
Condorcet a quitté Suard vers les onze heures. A deux heures de l'après-midi, il entre dans une auberge, à Clamart. Là, il aurait demandé qu'on lui serve une omelette. A la question : "De combien d'œufs ?", Condorcet aurait répondu, après un temps d'hésitation : "Une douzaine."
L’ignorance toujours mène à la servitude.
Toute sa vie, Condorcet a réprouvé la guerre, "droit barbare, auquel les hommes un jour devront renoncer pour s'en remettre au jugement d'arbitres paisibles".
La séance est levée, ce 9 août, à sept heures du soir. Condorcet regagne Auteuil. Il a raté son rendez-vous avec l'Histoire. Dans la nuit, la générale bat dans les faubourgs, le tocsin sonne à Paris. L’insurrection commence.
Dans chapitre VIII Un homme de pouvoir/ le temps des responsabilités, discours du 9 août.
L'insurrection est la dernière ressource des peuples opprimés. Elle est un devoir sacré quand il n'y a pas pour eux d'autres moyens de se sauver. Mais un peuple qui a des représentants fidèles ...courrait à sa ruine s'il préférait, à ces moyens d'action tempérés par la loi, des moyens dont l'illégalité serait capable de faire avorter tout le fruit...
Citation de Condorcet / Chronique de Paris 5 août 1792