À l'instant de retrouver la montagne, mes angoisses se mêlent d'un fort sentiment de liberté - passer un mois seul -, et de retour à moi-même - revoir un lieu qui m'est cher. Être seul et endurer mon corps en éprouvant la marche ; retrouver la montagne et me retrouver.
Prologue, p. 11
« Votre sac est lourd ; vous portez vos peurs. Mais de quoi avez-vous peur ? » est-il judicieusement écrit en fronton du gîte Les Gabelous à Saint-Véran.
Prologue, p. 11
Il est temps, me suis-je dit en revenant des mes dernières randonnées, d'aller marcher dans le Vercors, de retourner enfin sur les traces de mon adolescence, sans doute parce que j'arrive à un âge où le futur devient plus incertain et moins prévisible, où l'urgence commence à s'imposer.
Cette nuit, je fais un rêve d'histoire, ce qui m'arrive de plus en plus régulièrement. Plus j'avance dans ma vie, plus mes rêves se conjuguent au passé, peut-être pour me signifier que le passé est désormais mon vrai présent. L'évolution est profonde : tant de choses du présent ont si complètement cessé d'exister pour moi, et de m'intéresser, notamment les débats dits de société ou encore la plupart des recherches et des thèmes qui les mobilisent - le « postcolonial », I« anthropocène», I'« histoire-monde », les « études de genre » - , et je tente d'échapper le plus possible aux intersections du jour, que je considère avec indifférence comme les réparations conformistes d'une grande plainte généralisée. Cette échappée hors des sentiers battus démonétise largement en retour toutes mes actions, mes pensées et mon travail; mais j'en ai pris mon parti : je fais désormais partie du passé, je ne suis plus dans la course aux idées, j'ai renoncé au présent.
Je me demande souvent, lors de ces journées de marche, ce que j'aurais fait durant la guerre. Serais-je monté au maquis comme je l'ai si souvent pensé dans ma jeunesse, fantasmant la défense des pas auxquels j'aimais grimper ?