C’est ainsi que je connais leur rencontre. L’arbre me l’a racontée quand je l’ai serré dans mes bras, par un jour de printemps au jardin Planten und blomen.
Et le pire, depuis que j'essaie d'imaginer, puis oublier, d'oublier puis d'imaginer, de savoir quoi faire avec toute cette encombrante mémoire : le pire, c'est que nul ici ne se souvient du seul héros qui vaille. p136
Les écrivains n'ont qu'une passion : ressusciter les morts en les racontant, retenir les vivants en les repertoriant. ce goût de pâquerettes sur les cendres. Quand les mots s'écoulent de l'âme comme du sang fraisn c'est bon signe. Et je saigne. p35
Landmesser n'avait pas peur en 1936. Il sait huit ans plus tard que la peur est éternelle, que le courage est éphémère, que c'est une étincelle qui s'échappe des grands vivants, mais qu'elle ne dure pas. Le referait-il ?
Pendant ce temps, les Allemands organisaient des parties de Juden Raus : c'était un jeu de plateau populaire, dans le même esprit que le Monopoly qui venait d'être inventé aux Etats-Unis - à ceci près que le but était d'expulser les Juifs des commerces pour en envoyer un maximum dans des camps. Les nazis avaient le racisme ludique.
J'écris pour retenir, et n'ai jamais fait que cela. J'écris pour devenir, et n'ai jamais tenté que cela. Que se passe-t-il, quand on raconte l'histoire d'un homme pour y abriter, en creux, celle d'un autre?
C'est une drôle d'alchimie que celle de la douleur et de la mémoire, quand la littérature s'en mêle. Il faut accepter de passer un pacte avec le petit dieu des métamorphoses : il me murmure qu'à défaut de parler de toi, papa, je te parlerai de lui, August.
Qu'avaient-ils fait de leurs vies, ces deux-là qui s'aimaient? C'est toujours par une question simple que commencent les quêtes les plus tourmentées. Qu'avaient-ils fait de leurs corps, de leur amour, de leur extases et de leur colère?
Il faut bien que l'émotion vous pénètre profond sous la peau, pour se souvenir un jour de ce que l'on n'a pas vu comme si l'on y était.
Les soldats allemands n'en n'ont pas assez de marbre à saccager, de verre à fracasser, ça ne suffit pas, ça ne suffit jamais jamais aux ogres, la vieille pierre, les soldats allemands veulent de la chair humaine sous leurs ongles, de la souffrance bien pantelante sous leurs paumes. 129
Mais, sur le quai, ils ont abdiqué devant le fort qui vient qui vient leur demander d'être faibles, et qui n'est fort que leur faiblesse. p. 48