J'avais le vague pressentiment que ces deux volumes risquaient de traîner fort longtemps dans ma PAL si je n'y prenais garde. J'ai donc une la bonne idée de partir avec eux en confinement. La bonne idée car je me suis effectivement régalée d'un bout à l'autre de ma lecture !
Évidemment, on devine rapidement que la version officielle de l'histoire n'est sans doute pas tout à fait exacte. Des personnages louches, des conversations qui laissent échapper des indices… Que s'est-il vraiment passé sur Akya lors de la première mission de colonisation ? Qui sont les Atamides ? Que contient réellement ce tombeau ? Qui sait quoi ? Qui commet ces meurtres atroces sur le Saint-Michel ? Ce petit côté mystère, porté par l'enquête de Tancrède de Tarente (l'un des personnages principaux sur lequel je reviendrai), sert de fil rouge tout au long du récit. Il donne lieu à une alternance de moments d'action et d'instants plus tranquilles où il ne se passe pas grand-chose et l'auteur a su trouver une juste balance entre ces deux ambiances, entre rebondissements surprenants et vie quotidienne au coeur de l'armée croisée, pour ne jamais perdre son lecteur (surtout quand, comme moi, on aime la richesse foisonnante de mille petits détails, plus que les courses poursuites haletantes). Tout cela est très bien amené et géré d'une main de maître.
Les romans sont denses et détaillés. Les ressorts politiques, les intérêts des uns et des autres, les luttes entre seigneurs, la manipulation des masses, le fanatisme, le système de classes et l'impunité offerte aux couches jugées supérieures de la société, l'hypocrisie de la religion et des hommes d'église… Cette lecture m'a parfois rappelé
Les Rois Maudits de
Maurice Druon : l'univers moyenâgeux, les guerres de pouvoir, les intrigues, les mensonges et les trahisons… J'ai beaucoup aimé en apprendre plus sur l'Empire Chrétien Moderne, son emprise sur le globe, son ascension, toutes ces informations qui sont injectées ici et là au fil de l'intrigue. Et j'ai encore davantage adoré voir l'Église en prendre sérieusement pour son grade. Ce mélange entre science-fiction et roman historique s'est révélé à la fois très réussi et tout simplement passionnant !
L'écriture est très agréable et véritablement prenante. Pas avare en détails et en descriptions, elle est très visuelle, même dans les passages les plus techniques (comprendre « même quand je ne comprends pas tout », par exemple, lorsque l'auteur parle du Nod2, l'ordinateur organique qui régit le Saint-Michel).
La narration est d'autant plus addictive et efficace que l'auteur change régulièrement de point de vue et garde des informations pour plus tard, utilisant des flashbacks (les personnages se remémorent plus tard les circonstances les ayant menés à telle situation ou la conversation leur ayant permis de découvrir telle vérité). Cela crée un suspense parfois frustrant tant ma curiosité en était attisée.
Par contre, j'ai été outrée par le nombre de fautes présentes dans ces deux volumes. J'ai fini par regretter de ne pas les avoir comptées tant il y en a. Au début, ça surprend, mais j'ai fini par être véritablement exaspérée. Des « a » quand il faudrait des « à », des « où » quand il faudrait des « ou » et vice versa, un « d'avantage » au lieu d'un « davantage » ; une ou deux phrases mal formulées… ; ça en devient agaçant quand ça se répète sans cesse.
Outre cela, ce qui m'a complètement accrochée à ce long récit, ce sont les personnages. Je marche énormément à l'affectif et les personnages sont, la plupart du temps, quelque chose d'essentiel pour moi. Nous passons énormément de temps avec eux, ce qui nous laisse le temps de les connaître et de les aimer. A côté des grands objectifs de la Chrétienté, ces romans sont aussi bourrés d'émotions humaines : les rivalités, les préjugés, l'amitié, la remise en question et l'ouverture d'esprit, l'anthropocentrisme contre l'entraide et la rencontre avec un Autre, le fanatisme religieux contre les doutes spirituels, l'obéissance aveugle à l'autorité contre l'anti-militarisme, etc.
J'ai été surprise par Tancrède de Tarente. Celui que l'on présente comme un lieutenant émérite, un Méta-Guerrier (un rang militaire élevé) exemplaire, pur produit de l'armée, ne m'intéressait guère de prime abord, mais il a su rapidement attirer mon attention et mon affection. Il aurait pu être trop parfait tant il est impressionnant de courage et de droiture, mais lui que je craignais rébarbatif s'est révélé attachant par ses liens avec ses hommes, ses doutes et ses remises en question (sur la religion, l'armée, les Atamides…). Pour lui qui avait été si bien été conditionné depuis son plus jeune âge, l'évolution de sa pensée ne se fait pas sans mille souffrances morales.
Il y a aussi Albéric Villejust, l'inerme, le classe zéro, l'enrôlé de force qui se rebelle contre l'autorité, l'athée qui aide Tancrède à progresser sur le chemin du questionnement, qui finira par jouer un rôle immense, celui qui ne paie pas de mine à première vue mais à qui l'on s'attache pour sa simplicité et son réalisme (il est plus facile de s'identifier à un Albéric qu'à un Tancrède surentraîné). Il y a le flamboyant Liétaud Tournai, le géant affable et toujours prêt à rire, l'ami fidèle dont la relation avec Tancrède est particulièrement forte et belle.
J'ai été intriguée par leurs découvertes, j'ai été révoltée face aux situations injustes, j'ai été triste face à leurs pertes, j'ai partagé leurs joies, j'ai adoré suivre leur évolution, leur complexité, leurs hésitations, bref, j'ai fini par vivre pleinement leurs aventures avec eux. J'ai été vraiment désolée de quitter ces trois personnages (et d'autres dont je ne dirais rien pour ne pas spoiler) quand est venu le temps de la dernière page.
L'univers est presque exclusivement masculin : l'équipage est composé majoritairement d'hommes en dépit du régiment d'élite des Amazones et des femmes enrôlées de force pour leurs compétences scientifiques (comme Clotilde qui deviendra une aide précieuse pour Albéric). Il faut dire que dans la société médiévale qui a été réinstaurée, la place des femmes n'a guère progressé dans les classes supérieures : nulle possibilité de s'échapper d'un avenir de femme au foyer si ce n'est en s'engageant dans l'armée. Ce qui m'a réellement chagrinée, c'est de ne pas parvenir à réellement apprécier Clorinde di Severo, la seule femme dont nous partageons parfois le point de vue. Une femme forte, décidée, combattante, mais que j'ai souvent trouvée trop obtuse et hautaine. Peut-être avais-je déjà trop pris le parti de Tancrède au moment de sa rencontre avec Clorinde pour apprécier celle qui, d'une certaine façon, tente bien souvent de lui barrer la route. (Et puis, je n'ai pas trop accroché à sa romance avec Tancrède.)
Je m'arrête là mais sachez qu'il y a plein d'autres personnages fascinants, intimidants, captivants, dangereux, ambigus, à découvrir.
Ma première incursion dans le genre du space opera s'est donc révélée particulièrement fascinante et addictive. Ce dyptique, qui revisite le poème épique La Jérusalem délivrée à la sauce science-fiction, a su m'embarquer pour un voyage palpitant. Tout est réussi : la narration, les protagonistes, les sujets abordés, ce qu'il dénonce – que ce soit la volonté si tristement humaine de tout dominer, les abus de pouvoir ou la religion utilisée à des fins de pouvoir –, les conflits politiques ou intérieurs, le mélange entre action addictive et richesse de détails… Une superbe lecture qui m'a vraiment bluffée.
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