Ces mains qui courent sur le clavier à l'instant précis ne connaissent pas la violence. Elles ne savent pas se battre, elles ignorent les coups alors même qu'elles auraient pu, en des temps éloignés, se défendre et apprendre à en donner. Ces mains-là traversent la vie en douceur, guidées par un esprit paisible et un corps qui ne connaît pas la violence. Elles tournent des pages qui elles, en sont remplies, certes… mais la violence de l'imaginaire tente de consoler celle du réel ** et elles en sont pleinement conscientes.
Alors, lorsque ces doigts frôlent la fureur d'un roman tel qu' « A mains nues « , il arrive qu'ils ne comprennent pas cette transgression et cet acharnement. Cela les dépasse, ils ont besoin de temps pour en saisir le sens. de temps pour apprécier la teneur des mots et la tournure des phrases qu'ils jugent parfois sans transition.
Les yeux, quant à eux, glissent… presque indifférents sur la première partie du roman. Ils supportent mal ce déchaînement de sévices qui n'en finit pas et ces pages et ces pages d'enfermement, sans lumière aucune. Ils en deviennent presque aveugle aux détails, lisent et oublient aussitôt, ne développent pas l'empathie nécessaire. Pourtant, ils se rendent compte de l'intérêt du récit. le syndrome de Stockholm est ici poussé à son extrême, il en devient cohérent. La dépersonnalisation de l'individu est telle que l'homme en redevient animal et que l'atavisme remporte la victoire.
L'iris se rétracte, attendant des détails inhérent à la sauvagerie du roman mais l'auteure a cette pudeur toute féminine qui rend la violence parfois juste suggérée, à peine évoquée. Là où il aurait été si commode de sombrer dans le sordide,
Paola Barbato choisit de laisser la place à l'imagination qui fait le reste du travail et implante des images insoutenables.
Dans la seconde partie, l'esprit prend enfin l'ascendant et développe l'intérêt dont il a besoin pour découvrir et apprécier la profondeur du récit. Il voit Éros et Thanatos réunis en un seul homme… Il ressent « A mains nues » , presque comme un mythe revisité par l'auteure mais un mythe décadent, débordant de sauvagerie où la mort devient aseptisée et où il n'est nul besoin de s'appesantir sur une perte quelconque. Vivre ou survivre. Loi du plus fort.
500 pages de combats presque ininterrompus et fastidieux. 500 pages de coups, de sang, de morts. 500 pages ayant laissé au corps et à la tête un sentiment d'inégalité. Les mains ont tourné les feuilles de papier, les yeux ont envoyé les informations à l'esprit et ce dernier a tenté de les assimiler pour enfin subir le choc final, et il fut rude, de la toute dernière page. Il comprit alors la nécessité de ce cheminement ardu.
Là où le corps faiblit, l'esprit est là pour lui redonner force et courage. Les deux ne font qu'un et ce roman en est la démonstration criante. Ennuyeux puis presque fascinant : le paradoxe est saisissant et laisse tout sauf indifférent.
Paola Barbato maîtrise l'art du combat : jauger l'adversaire, parer les coups, asséner l'uppercut pour étourdir. Et puis mettre à mort…
Lien :
https://sous-les-paves-la-pa..