Des voix résonnent, lointaines et cotonneuses. Je sens qu'on touche mon épaule et qu'on me secoue. Mes paupières pèsent lourd...Dans la faible lueur, je distingue deux silhouettes penchées sur moi. Deux hommes. Le premier s'agenouille et parle sans que je comprenne un mot, son haleine me soulève le cœur.
- Kaк noжиBaeтe ?
(incipit).
Je ne crois pas qu'un individu puisse s'octroyer le droit d'interdire à un autre d'être ce qu'il est profondément, et j'ai souvent répété à mes enfants, comme à mes petits et mes arrière-petits-enfants :
- Vous êtes des êtres libres. Ne croyez que ce que votre cœur vous dicte et ne vous aveuglez jamais des pensées d'autrui. Affirmez vos propres opinions. Réfléchissez par vous-mêmes aux choses et au dessous des choses. Soyez maîtres de vos choix, ne vous laissez jamais manipuler. Votre vie n'appartient qu'à vous seuls et à personne d'autre. Et pour toi, Nina, toi Wanda, et toi, Louise, le chemin sera plus difficile, parce que la condition des femmes ne va malheureusement pas évoluer aussi vite que la technologie. Refusez d'être un objet, d'être mises à l'écart ou même interrompues. Personne ne doit parler à votre place. Et ne baissez jamais les bras.
Etre belle n'est pas ma priorité. Je veux être en paix, c'est tout.
Je renverse mon sac, extirpe la lettre, relis ses saloperies de mots. Non, il n'y a aucune faute et je revois Raphael couché sur son lit, son cahier ouvert. Je suis à côté de lui, appuyée sur un coude. Je viens de lui dicter un texte dans lequel il n'a fait aucune faute. Il m'explique les accords, il analyse chaque mot. Il me regarde, il sourit.
- Ecrire réclame plus qu'une orthographe irréprochable. Je me sens libre avec les sons. Je fais des fautes pour qu'on me regarde, qu'on s'occupe de moi, qu'on me parle, qu'on m'apprenne la vie. Je fais des fautes pour qu'on m'aime.
Il a caressé les pointes de mes seins avec son stylo, puis il les a dessinées sur son cahier.
Je ressens ses caresses sur mon corps, et ma colère devient tristesse. Puis manque. Parce que je n'ai jamais -mais jamais- ressenti le dixième de tout cela dans les bras de Philippe...
— p196 : J’étais comme Alice au pays des merveilles, je rétrécissais sans le vouloir, j’avançais dans un monde dont les codes me filaient entre les doigts.
[...] j'ai très envie de signifier à Frau Baumgartner qu'aucune maison n'est parfaite, parce qu'elle est l'oeuvre d'un humain. Qui, lui, ne l'est pas non plus. Que rien ne l'est jamais, parce que tout, absolument tout a des faiblesses, des défauts, une part d'incontrôlable...
Tu as une belle nature, Martha. Tu es une belle femme, tu as – note que j’utilise le présent, parce que je sais en te regardant que tu es encore comme ça – oui, tu as un beau respect pour les autres et pour cette belle notion d’engagement.
Mon moral ne remonte pas en flèche, mais oui, je veux juste être quelqu’un de bien, et non pas quelqu’un de parfait. Je veux être quelqu’un qui est bien dans sa peau. Qui fait ce qu’elle aime. Qui porte ce qu’elle aime…
Je suis devenue une étrangère à moi-même.
Moi qui ai attendu, avec une impatience que j'ai eu bien du mal à maîtriser, la remontée de mes souvenirs pour être apaisée, me voilà maintenant submergée de sensations de plus en plus troublantes.