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Citations sur Les filles sont nulles en maths & autres préjugés (7)

(p.42) La construction de la perception

Maintenant que nous avons compris la différence entre la réalité objective et la réalité perçue, ainsi que les pièges cognitifs qui influencent nos perceptions et nos représentations, je vous propose d’aborder les mécanismes de construction de la perception. Pour cela, intéressons-nous à une expérience menée par Solomon Asch, véritable pionnier de la psychologie sociale, qui souhaitait répondre à la question suivante : comment les gens se forment-ils une impression sur autrui ?

Pour son expérience, Asch a constitué deux groupes d’étudiants et leur a présenté une liste de mots. Au premier groupe, il a décrit une personne fictive avec les qualificatifs « intelligent, travailleur, impulsif, critique, têtu, envieux ». Au second groupe, il présente les mêmes adjectifs, mais dans l’ordre inverse. Dans le premier cas, la liste commence donc par les adjectifs les plus élogieux, dans le second, par les plus négatifs. Résultat : la personne fictive était jugée plus favorablement par les sujets du premier groupe que par ceux du second.

On s’aperçoit ainsi que les sujets se sont rapidement fait une opinion de la personne fictive, et que, malgré l’utilisation des mêmes mots, on obtient des jugements différents. La formation de l’impression se fait donc en direct, à mesure que l’information est disponible, et ce qui est déjà disponible filtre les informations qui viennent par la suite. C’est ce que l’on appelle l’effet de primauté, que l’on pourrait résumer par l’expression bien connue : « On n’a pas deux fois l’occasion de faire bonne impression. »

Le processus cognitif à l’œuvre est ce que l’on appelle un jugement catégoriel : les gens se forment une image à partir de quelques indices qui font émerger des catégories, puis ils interprètent les informations suivantes sur la base des attentes forgées par ces premières catégories. Pour reprendre l’expérience de Solomon Asch, voici (de façon quelque peu exagérée pour les besoins de l’exposé) comment le traitement de l’information peut s’opérer :
• Une personne intelligente renvoie à une catégorisation connotée positivement.
• Travailleuse : c’est certainement parce que cette personne est travailleuse qu’elle est intelligente (le travail finit par payer).
• Impulsive : puisqu’elle est intelligente, cette personne est directe et s’exprime sans détour.
• Critique : elle doit être critique vis-à-vis d’elle-même et des autres, ce qui est une garantie de réussite.
• Têtue : puisqu’elle est intelligente et travailleuse, cette personne sait ce qu’elle veut.
• Envieuse : lorsqu’on travaille dur et qu’on sait ce qu’on veut, on a de l’ambition.

Même têtue et envieuse, cette personne reste une personne bien, travailleuse et intelligente (premières catégories d’attribution). Les adjectifs les plus négatifs sont ainsi colorés positivement (« envieux » est traduit par « qui a de l’ambition »).

En utilisant exactement les mêmes mots mais dans l’ordre inverse, le processus cognitif de jugement catégoriel ne se fait pas du tout de la même façon :
• Envieuse : donc probablement de nature jalouse, ce qui est connoté négativement.
• Têtue : il doit être difficile de discuter avec elle.
• Critique : puisqu’elle est jalouse et têtue, ce doit être une personne cassante.
• Impulsive : donc probablement ingérable, ce qui va bien avec le reste.
• Travailleuse : elle doit se réfugier dans le travail tellement les relations sociales sont compliquées pour elle
• Intelligente : puisqu’elle veut toujours avoir raison… Il ne manquerait plus que ça, qu’elle soit bête.
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(p.40)

Pour démontrer que les humains restent férocement attachés à leur première impression, le psychologue David Rosenhan a mené une expérience risquée mais efficace : imité par une douzaine de complices, il s’est fait interner de son plein gré en hôpital psychiatrique, affirmant qu’il entendait des voix et avait besoin de soins. Chacun des douze membres de l’équipe avait la même mission : une fois diagnostiqué et interné (chacun dans un hôpital différent), il devait se comporter tout à fait normalement, expliquer qu’il n’entendait plus de voix et manifester le désir de quitter l’établissement.

Croyez-le ou non, mais sortir d’un établissement psychiatrique quand on est parfaitement sain d’esprit n’est pas chose facile : malgré le comportement normal des chercheurs, les séjours d’internement ont duré dix-neuf jours en moyenne, le plus long atteignant cinquante-deux jours, soit plus de sept semaines !

En bonus, chacun des cobayes est ressorti avec un dossier médical marqué au fer rouge : onze d’entre eux ont été diagnostiqués schizophrènes et le douzième, maniaco-dépressif en rémission. Ainsi, indépendamment d’un état de santé classique, ils ont tous reçu un diagnostic personnel et définitif sur la base de symptômes inventés le temps d’une consultation pour se faire admettre à l’hôpital.

Plus surprenant encore : les chercheurs se sont aperçus que tout le monde n’était pas dupe de leur petit jeu. Plusieurs personnes ont remarqué qu’ils prenaient continuellement des notes et avaient un comportement quotidien parfaitement normal, au point de leur demander s’ils étaient journalistes ou professeurs. Or, ces personnes n’appartenaient pas au corps médical mais aux « vrais » patients ! À l’inverse, aux yeux du personnel de l’hôpital, la prise de notes était précisément perçue comme un symptôme de leurs troubles mentaux… sans que personne ait jamais pris la peine de vérifier ce qui était écrit dans leurs carnets !
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(p.21) Le gorille invisible

Le test du gorille invisible (The Invisible Gorilla) a été mis au point en 1999 par Christopher Chabris et Daniel Simons, deux chercheurs en psychologie cognitive à Harvard. La consigne donnée aux participants était de regarder attentivement une vidéo où deux équipes de joueurs de basket, l’une habillée en blanc, l’autre en noir, se lançaient un ballon, et de compter le nombre de passes entre les membres de l’équipe des blancs. Pendant la partie, une personne déguisée en gorille traversait la scène de droite à gauche en se frappant la poitrine avec les poings.

Il était ensuite demandé aux participants combien de passes ils avaient compté, et s’ils avaient vu quelque chose qui sortait de l’ordinaire. Plus de 50 % d’entre eux n’avaient pas vu passer le gorille ! Alors, qu’est-ce qui rend le gorille « invisible » ?

C’est le manque d’attention envers un objet inattendu qui, bien que perçu, n’est pas traité par notre cerveau ; on parle de cécité d’inattention. Quand les individus focalisent leur attention sur un aspect ou un domaine particulier de leur monde visuel, ils ont tendance à ne pas remarquer les objets inattendus, même lorsqu’ils sont imposants, potentiellement importants, et apparaissent à l’endroit même que les individus sont en train de regarder. En d’autres termes, les sujets étaient tellement concentrés pour compter les passes qu’ils étaient aveugles au gorille juste sous leur nez.
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(p.82) On le sait, il est plus difficile d’obtenir un emploi quand on est porteur d’un handicap visible, que l’on a un accent très marqué ou la peau foncée. Si vous avez déjà vous-même organisé des entretiens d’embauche, vous avez peut-être remarqué que les personnes issues de minorités visibles peuvent être, sous certaines conditions, moins à l’aise dans ce genre d’exercice, alors que vous avez le sentiment d’avoir tout fait pour les mettre à l’aise et leur donner leur chance. En fait, dans ce type de situation, vous n’êtes peut-être pas aussi impartial(e) que vous le pensez, et la différence de résultat vient peut-être en partie de vous…

Afin de mener une expérience visant à mesurer l’impact de la couleur de peau sur l’attitude des recruteurs lors d’un entretien d’embauche, des chercheurs américains ont choisi des participants de type caucasien (c’est-à-dire à la peau blanche) pour jouer le rôle des chargés de recrutement, sans les prévenir ni de l’objet de l’étude, ni du fait que les candidats étaient en fait des complices. Le constat fut sans appel : lorsque le postulant était noir, les sujets recruteurs faisaient plus d’erreurs de langage et adoptaient un comportement non verbal indiquant une plus grande distance avec le postulant ; en outre, ils accordaient à ce dernier un laps de temps moins long pour l’entretien. Avec de telles dispositions (même inconscientes) de la part des recruteurs, on comprend mieux pourquoi il est plus difficile d’obtenir un emploi lorsqu’on fait partie d’une minorité visible.

Les chercheurs ont poussé leurs investigations un peu plus loin, en inversant les rôles lors d’une seconde expérience. Cette fois-ci, les complices de l’étude ont joué le rôle de chargé de recrutement. Il leur était demandé de reproduire les comportements observés chez les sujets recruteurs de la première expérience (comportement non verbal plus ou moins distant, erreurs de langage, impatience, etc.). Ces comportements devaient être joués aléatoirement, sans tenir compte de la couleur de peau des candidats.

Autrement dit, les erreurs de langage, l’empressement et les comportements distants ont été produits aussi bien face à des postulants blancs que noirs. En toute logique, les comportements des participants ont été affectés par celui du recruteur : les postulants qui se trouvaient face à un chargé de recrutement distant et pressé ont été moins performants dans leurs attitudes et leurs réponses, et ce, quelle que soit leur couleur de peau. Ainsi, le comportement non verbal des recruteurs a largement modifié le déroulement de l’entretien, au détriment des personnes stigmatisées… ce qui a permis de confirmer le préjugé selon lequel ces dernières étaient moins performantes, alors qu’elles n’y étaient malheureusement pas pour grand-chose !
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(p.118) L’effet Festinger

Dans leur ouvrage intitulé L’Échec d’une prophétie, trois psychologues (Leon Festinger, Henry Riecken et Stanley Schachter) décrivent ce qui est arrivé à une secte de Chicago qui croyait que des extraterrestres allaient débarquer sur terre. À l’origine de cette secte, il y avait une femme nommée Marian Keech, qui affirmait avoir reçu de mystérieux messages grâce à une « écriture automatique », en provenance de la planète Clarion (qui, accessoirement, n’existe pas). Ces messages expliquaient que le monde allait être englouti par une grande inondation avant l’aube du 21 décembre 1954. Pris de panique, les membres de la secte de Marian Keech avaient donc quitté emplois et conjoints pour préparer leur départ à bord d’un vaisseau mère extraterrestre qui devait venir les sauver. Problème : le jour J, aucun ovni n’a atterri (ni les jours suivants, d’ailleurs) et la fin du monde n’est pas survenue. La prophétie ayant échoué, pensez-vous que les adeptes de la secte décidèrent de la quitter ? Absolument pas ! Au contraire, ils apprirent, via un message envoyé par « écriture automatique » à Keech quelques heures après le moment annoncé pour l’atterrissage, que le dieu de la Terre avait finalement décidé d’épargner la planète de la destruction. La raison ? Les prières de ce petit groupe de croyants, qui, « assis toute la nuit, avait répandu tant de lumière que Dieu a sauvé le monde de la destruction ». Mieux encore, Marian Keech et ses acolytes souhaitèrent partager cet exploit et annoncer la bonne nouvelle au monde entier, en appelant les journaux pour leur raconter cette histoire et donner des interviews, afin de diffuser leur message à un public aussi large que possible. Ainsi, au lieu de remettre en question leur adhésion à la secte (et de reconnaître leur erreur), ce qui aurait à coup sûr généré une dissonance cognitive (« nous avons tout quitté de notre vie passée pour ce qui s’avère n’être qu’une supercherie »), les membres de la secte se sont convaincus que le monde avait été sauvé grâce à leurs prières. Non seulement l’échec de la prophétie n’a pas remis en question leurs croyances, mais il les a même renforcées
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(p.20) Le bureau du thésard

Si vous pensez encore que votre mémoire est infaillible, l’expérience menée par William Brewer et James Treyens devrait vous faire réfléchir. Dans le cadre de cette expérience, des sujets étaient conduits dans le bureau d’un étudiant en thèse et il leur était demandé d’attendre une minute, sous le prétexte que l’expérimentateur devait s’assurer que le sujet précédent avait bien terminé. Trente secondes plus tard, on conduisait les personnes dans une autre pièce et on leur demandait (sans qu’elles s’y attendent) de faire la liste de tout ce qu’elles avaient vu dans la pièce précédente. 30 % des sujets se souvenaient d’avoir vu des livres et 10 % d’avoir vu une armoire à dossiers. Pourtant, ce bureau ne contenait ni livres, ni armoire à dossiers. Le cerveau des sujets avait reconstruit ce « souvenir » sur la base de leur représentation du contenu d’un bureau de thésard.
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(p.119)

Faut-il conclure de tout cela que c’est peine perdue de vouloir modifier les croyances erronées et que vous avez bien fait de jeter l’éponge ? Le journaliste scientifique et historien des sciences Michael Shermer a refusé de s’y résigner. Certainement à force de longues et pénibles heures de discussion, il a fini par identifier six points clés contribuant à influencer positivement une discussion afin de faire comprendre à son interlocuteur que ses croyances sont erronées :
• Mettre ses émotions de côté (la colère et la suffisance n’aident pas).
• Discuter mais ne pas attaquer (les oppositions frontales et les références désagréables sont toujours improductives).
• Écouter attentivement et essayer d’analyser la position de son interlocuteur avec précision (prêtez attention à ses propos pour ne pas les déformer).
• Manifester du respect (en montrant qu’on respecte son point de vue, on peut amener notre interlocuteur à respecter le nôtre).
• Reconnaître que l’on comprend pourquoi quelqu’un peut soutenir telle ou telle opinion (a priori, votre interlocuteur n’est pas plus bête que vous et sa démonstration peut être logique).
• Essayer de montrer que le fait de changer de vision des faits n’implique pas nécessairement de changer de vision du monde (même si la Terre est ronde au lieu d’être plate, la Belgique est toujours frontalière de la France)

Ces stratégies ne fonctionnent pas toujours pour convaincre les gens de changer de point de vue, mais elles permettent au moins de faire un pas vers l’autre, en l’invitant ainsi à faire un pas vers nous. En revanche, c’est beaucoup plus difficile lorsque les croyances sont focalisées sur des individus (souvenez-vous du biais de favoritisme intragroupe et de la théorie de l’identité sociale vus au chapitre 5). En effet, le simple fait de catégoriser notre environnement social en « nous » (mon groupe) et « eux » (les autres groupes) suffit à déclencher des stéréotypes, et donc une forme de préjugé et de discrimination. Quelles sont alors les principales pistes explorées pour tenter de réduire l’influence de ces mécanismes ?
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