Tattoo

Pourquoi faut-il que chaque fois qu'il me croise, dans la vraie vie, je me trouve coincée dans une posture ridicule ? Au cours des dernières 24h, il m'a vue étalée par terre, puis la tête tordue sous le bras d'une copine, en train de m'étrangler avec une mèche de mes propres cheveux.

T'es trop mignonne quand tu fais ça, me dit Kane.

Ma mâchoire s'affaisse, et la température de mon corps redescend de plusieurs degrés d'un seul coup. Mignonne ? Il me trouve mignonne, moi ? Mignonne quand je fais quoi – rougir ? Me casser la figure ? Je me jure intérieurement de rougir et trébucher plus souvent.

-T'es trop mignonne quand tu fais ça, me dit Kane.

Ma mâchoire s'affaisse, et la température de mon corps redescend de plusieurs degrés d'un seul coup. Mignonne ? Il me trouve mignonne, moi ? Mignonne quand je fais quoi – rougir ? Me casser la figure ? Je me jure intérieurement de rougir et trébucher plus souvent.

Delia me prend délicatement le sachet des mains et s’empare des ciseaux d’Annabelle. Quelques coups de lames plus tard, elle se retrouve avec un tatouage découpé au creux de la paume.
- On dirait un genre de papillon… ou une moitié de papillon, dit-elle. Sauf là, ajoute-t-elle en désignant le centre du symbole.
Annabelle prend le sachet de tatouages et effleure les contours de l’un d’entre eux. Contrairement à celui de Delia, constitué de deux cercles délicatement entremêlés et divisés par une ligne sinueuse, celui choisi par Annabelle forme un dessin plus étroit et allongé, comme deux croissants de lune qui se chevauchent. Ou encore, réalisé-je avec un petit frisson, comme deux yeux déformés et rivés droit sur moi.
- Prends-le dis-je en répondant à son regard interrogateur avec un haussement d’épaules. Il est à toi.
Annabelle récupère ses ciseaux et s’empresse de découper son tatouage. D’un air faussement solennel, elle me tend le reste de la feuille.
J’examine les deux tatouages restants. L’un est parfaitement circulaire, orné de lignes obliques ou en zigzag explosant depuis son centre comme un soleil dessiné par un enfant « imaginatif » de quatre ans. L’autre est quasi indescriptible, mélange de traits de points et de triangles superposés. J’ai le vertige rien qu’a le regarder.
- As-tu une préférence, Bay ? Me demande Zo, qui vient enfin de sortir de sa cabine d’essayage pour profiter elle aussi de la séquence tatouage.
Ma mâchoire se décroche. Sa robe noire lui va à merveille et drape son corps athlétique d’une manière presque sensuelle, la métamorphosant en petite blonde canon.
-Tu vas avaler les mouches, me lance-t-elle avec un sourire en coin.
Si j’avais été n’importe qui d’autre, elle m’aurait foudroyée du regard en voyant mon air ébahi : mais elle se contente de me pousser du coude. Si Zo a un seul point faible, c’est bien moi.
- Choisis ton tatouages, Bay.
Je m’efforce de ne regarder aucun des deux, mais mes yeux sont attirés malgré moi par celui en forme de soleil.
- Je suis un peu génie ! Triomphe Delia en détaillant Zo des pieds à la tête.
- Tu as un faible pour le soleil, me dit Zo, ignorant la remarque de Delia
- Ça t’embête si je le prends ?
- Si ça m’embête ? Bien sur que non. Est-ce que j’ai une tête à aimer le soleil moi ?

Je pose mes mains sur ses épaules, lui place les siennes autour de ma taille. Nous commençons à danser, mais totalement à contretemps, et il m’écrase le pied quatre fois.
C’est fantastique.
Tandis que nous nous balançons maladroitement d’avant en arrière, je sens que mes paumes de main ont choisi ce moment précis pour transpirer. Mais même ce fâcheux détail ne parvient pas à effacer le sourire béat scotché en travers de mon visage.
Kane fait de son mieux pour maintenir la conversation.
- Tes cheveux, dit-il enfin.
Tes cheveux ressemblent au clair de lune.
-Ils, euh… ils sont super, comme çà.
Mes joues s’enflamment. Il trouve que mes cheveux sont super. Ils be ressemblent pas au clair de lune, il n’est pas amoureux de moi, et je danse avec la grâce d’une patate. Nous ne sommes plus dans mon rêve. C’est la réalité.

Tes yeux me surprennent chaque fois que j'y plonge les miens, car j'y croise ton regard.

Bon, j'adore parler superpouvoirs et tout, mais nous avons d'autres problèmes plus urgents à débattre. Par exemple, figurez-vous qu'il faut appliquer trois couches de [vernis à ongles] Magie Mango pour obtenir la bonne nuance !

- Ça non, approuve Delia. Bon. Maintenant, c’est le moment de vérité. J’ai décidé de coller mon tatouage juste en dessous du nombril. En laissant entrevoir un tout petit peu de ventre. Ça fera hyper-sexy. Un avant goût de l’interdit….
- Il est hors de question que je le colle un tatouage sur le ventre, marmonne Zo.
Annabelle enroule ses bras d’un geste protecteur autour de ses hanches, et Delia lâche un soupir en digne martyre de la mode.
- Je crois que je vais me faire le mien dans la nuque, déclare Annabelle en réunissant ses cheveux châtains, pardessus son épaule. Comme ça, je saurai qu’il est là, mais personne ne le verra.
- et vous les filles ? Interroge Delia. Bay, Zo ?
(…)
- Le bas du dos, décrète Delia après un long silence, telle une artiste enfin frappée par l’inspiration. Avec cet ensemble en deux parties - Qui je dois le dire, était une idée géniale de ma part -, ce sera divin. Moins accrocheur que sur le ventre, mais très sexy quand même. Et mystérieux.
- C’est notre Bailey, approuve Zo. Un grand mystère à elle toute seule.
Je lui assène un coup de coude dans le ventre.
-Jolie, ta robe, lui dis-je. Très solaire. (Elle ne relève même pas.) et toi, alors ? Où comptes-tu mettre ton tatouages ?
Zo n’hésite pas une seconde. Et j’ai beau la connaître assez pour savoir qu’elle n’y a pas réfléchi avant que je ne lui pose la question. Elle me répond avec une certitude absolue:
- Sur le pied.
- Le pied ? Fait platement Delia.
- Sur ton pied ? Insiste Annabelle.
Zo hoche à nouveau la tête.
- Ouaip, dit-elle Sur le dessus de mon pied.

Annabelle me dévisage comme si je venais d’annoncer que je voulais faire des mèches à mon teckel.
Je dois être en train de rêver
-Pourquoi serais-tu en train de rêver ? me demande-t-elle, stupéfaite. Et qui aurais l’idée saugrenue de faire des mèches à un teckel ?
Ma bouche s’entrouvre.
Annabelle, dis-je intérieurement, est-ce que tu m’entends ?
-Bien sûr que je t’entends, dit-elle.
Annabelle, regarde mes lèvres.
Elle se tourne vers moi
Est-ce qu’elles bougent ? lui demandé-je en silence. Est-ce que mes lèvres bougent ?
Lentement, Annabelle secoue la tête.
Suis-je en train d’émettre le moindre son ?
Elle refait non.
-Oh… déclare-t-elle enfin. (La plupart des gens lâcheraient un chapelet de jurons. Annabelle se contente d’un simple « Oh ».) J’entends tes pensées, c’est bien ça ? me demande-t-elle à voix basse.
-A-belle, tu commences à me faire flipper, là...
-Elle lit dans les pensées, Zo. Tout comme j’ai mis le feu au pied d’Alexandra par accident. Il ce passe des trucs étranges.