- Je crois qu'elle ne m'a pas attendu, marmonna Voltaire.
- Une de perdue, dix de retrouvées, ricana la gardienne. Puis se tournant vers le bouquet : "Ne les oubliez pas, celles-là ! Elles ont dû vous coûter bonbon ! C'est pas de la camelote ! Moi, j'aime pas les fleurs ! C'est pas que je sois allergique, mai j'ai pas le physique. C'est ce que disait mon mari : "Toi, je t'offrirai jamais de fleurs, ce qui te va bien c'est les frites !" C'était un gros con, il s'est barré avec une pute, mais j'ai toujours reconnu qu'il avait raison en ce qui me concerne sur le plan des fleurs et des frites."
Valérie se fie à son œil. Elle voit tout de suite le mâle, le champion, le conquistador, le belluaire. Pour elle, le poil qui mousse salement dans l'échancrure de la chemise est le meilleur des critères. Elle s'y accroche comme un pou de pubis dans la toison éponyme.
Le plaisir terrible de l'attente porte le sentiment amoureux à son plus haut degré d'incandescence.
Ce qui lui plaisait, ce qui l'attirait, c'était les poils. C'est une femme qui a le vice des poils.Son père était poilu. Ses frères sont poilus. Elle est issue d'une lignée de velus d'exception. Chez eux ,les photos de famille broussaillent, buissonnent, ,s'ébouriffent.
Bientôt, c'est un mot de l'amour qui grandit. Plus tard, un mot de l'amour qui a vieilli. Bientôt va vers la vie, plus tard s'en éloigne.
De tous les mots du dictionnaire, bientôt est le plus réconfortant. Il nous reconstitue dans la patience.Il se joue de la durée. Il traduit des années ou des minutes, sans distinction. C’est l’espoir du sage. C’est la formule magique qu’on adresse aux enfants qui trouvent un peu longs les voyages en train. C’est une parole de l’aurore,comme plus tard est un terme du soir. Plus tard se résigne, bientôt espère.
Les sentiments valent tous les trésors du monde je crois. Et toutes les toisons pectorales.
L'avenir dépend souvent de la façon dont on traite le présent.
Depuis une heure, passant d’un magasin à l’autre, il s’était senti troublé, de plus en plus. Il cherchait le prénom de sa femme, sans le retrouver. Pendant des années, il s’était ingénié à ne pas le prononcer, mais jamais il n’avait eu l’intention de l’oublier. Ce sont des choses qui ne se perdent pas comme un trousseau de clefs.
Il se disait que ce n’était pas très grave : il reviendrait à la maison, consulterait le livret de famille, tout rentrerait dans l’ordre.
Mais, à ses yeux, cette solution n’était pas satisfaisante. Pour bien faire, il aurait fallu que le prénom lui revienne naturellement, attestant donc qu’il l’avait encore bien en tête, qu’il était seulement victime d’un instant de distraction.
On ne peut pas tout connaître du monde dans lequel on vit. p187