Une minute quarante de Franz Bartelt à consommer sans modération, extrait du livre "Le bon temps" paru à L'Arbre vengeur.
Il n'existe nulle part sur la terre de plus beau paysage qu'un visage qui sourit.
Tenez moi, Vertigo Kulbertus, obèse devant Dieu, devant le roi et devant la balance, depuis que je suis échoué dans cette campagne je n'ai même plus le coeur de décompter les jours qui me séparent d'une retraite dont mes collègues m'assureront, un verre de mousseux à la main, qu'elle est bien méritée, mais dont je pense qu'elle n'est peut-être que la punition d'une longue vie de labeur et de contraintes. Comment une retraite peut-elle être "bien méritée ? Cela voudrait dire aussi que la mort est "bien méritée"....Un jour arrive où on y a droit. Voilà."
Il haussait le ton pour bien spécifier que le produit était nouveau. Et il interrogeait les utilisateurs qu'il avait invités sur le plateau. Des clients satisfaits du téléachat.
"Ca fait cinq ans que je me sers de ce nouveau produit", ânonnait la bonne femme dans le micro qu'il lui tenait sous le nez.
C'est inhumain ce que les gens sont prêts à subir pour passer à la télévision. Ils épluchent d'un doigt, ils lavent facile à la main, ils fabriquent des croissants rien qu'en glissant des boules de pâte dans le four, ils repeignent les plafonds sans en mettre partout, ils se blanchissent les dents et se rincent l'intérieur des narines avec des machines extraordinaires. Ils ont fait tout cela, et ils témoignent, le petit doigt sur la couture, tout roses de bonheur, avec la certitude d'avoir enfin réussi leur vie. Jacques Cageot-Dinguet ne tarissait pas. Il se débrouillait comme un champion, maniait le sourire, la phrase élogieuse, le compliment à tiroirs. Il feignait l'émerveillement devant cet article qu'il vendait depuis des années. Il n'en revenait pas. Il disait : "C'est magique !"Il disait : "Epatez vos amis !" Il disait " "Dépêchez-vous!" Il n'y en aura pas pour tout le monde !" Il disait : "Satisfait ou remboursé !" Il ne prononçait que des paroles d'un classicisme parfait. Par coeur, il connaissait ses prières. Un génie, je n'hésite pas à l'affirmer. J'en avait des frissons, les larmes aux yeux. Je crois que je n'étais pas loin d'être fier d'avoir été enlevé par un type pareil.
Détail à ne pas méconnaître : un écrivain, ça picole. Une bouteille, un chapitre. Un verre d'eau, la panne. Un jus de fruit, la déprime. Un bol de lait, le suicide. (page14)
Réussir la gloire n'est pas mieux que de réussir l'anonymat. En tant qu'anonyme volontaire, n'ayant jamais cherché à me faire connaître, j'estime avoir réussi mon anonymat. Personne ne me connaît.
Les morts nous quittent. Ce n'est pas nous qui les abandonnons. Pour eux, nous ne sommes plus rien. Pour nous, ils sont encore beaucoup. Ils ne seront jamais de trop dans notre mémoire.
Vous faîtes souvent le ménage, Meyer...
- Vous savez ce que c'est, un homme seul...
- Je ne vous disait pas ça comme un reproche. Je constate seulement que c'est le bordel chez vous. J'ai jamais vu ça. Et ça, c'est quoi ?
il montrait une serpillière étalée sur la table.
- C'est une serpillière, dit le bûcheron. Ça me sert de nappe. C'est solide et ça absorbe bien. Et ça coûte rien à l'achat.
- Je retiens l'idée, Meyer.
- Le flacon est à vous", proclame Mâme Gairtreude en cognant le cul de la bouteille si virilement qu'elle donne l'impression de vouloir l'enfoncer dans la table.
Elle conseille, en roulant des yeux affolés :
"Surtout pas verser dans la tasse, s'il vous plaît. C'est un pur-sang, c't'alcool ! Il attaque l'émail. A la longue, il ronge même le verre. C'est dire. Sur terre y a que l'homme pour le supporter.
Dans la cave du Rabelais dorment, attendant leur heure, cent litres de ce breuvage, rapportés en fraude de Rochefort dans les années soixante par son père. Il n'en servait qu'aux forces de la nature. Aux mal servis de la chance. Aux hommes sans femme. Aux malheureux. Aux bûcherons. Maintenant, c'est un baume réservé aux bourreaux.
Boulou Tarpian se fâchait avec tout le monde. S’il s’était croisé dans la rue, il se serait fâché avec lui-même.( Le monde à l'envers)
Dans ma jeunesse, avant de rencontrer Camina, je répondais à un prénom du calendrier, je ne me souviens pas lequel. Camina ne m'appelle jamais autrement que Eho !
"Eho ! J'nai plus d'café ! Eho ! Passe-moi le programme ! Eho ! Quelle heure qu'il est ?"
Je m'y suis habitué et je trouve que ça sonne bien, moderne sans être ridicule, concis sans être sommaire, et plutôt indémodable, avis personnel.