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«Nous avions perdu sur toute la ligne depuis plusieurs générations.
Aucune lutte n'avait abouti. de temps en temps, pour respecter à la fois la tradition et notre instinct, nous lancions des offensives politico-militaires depuis nos camps, nos centres psychiatriques ou nos ghettos. Elles se terminaient systématiquement en déroute.
La défaite était notre seconde nature. Nous l'avions intégrée à nos comportements, et, lorsque par hasard nous échappions à la captivité, nous préférions habiter les maisons vides, les ruines et les souterrains.»

Lorsque Gordon Koum revient aux portes du ghetto où il (sur)vit avec sa famille, la ville a été transformée en montagne de débris suite à une attaque d'une horreur inconcevable, une attaque de plus dans une guerre aussi interminable qu'incompréhensible des "barbares officiels" contre cette collectivité de "sous-hommes", de ceux qui vivent aux marges. de la ville il ne reste qu'une plaine charbonneuse d'une laideur infinie, que des ruines noirâtres sous un ciel gris plomb, entièrement recouvertes d'un glacis goudronneux, paysage de désastre d'une noirceur absolue. Dans cette attaque, Maryana, la femme de Gordon Koum, Sariyia, Ivo et Gurbal, ses enfants, ont brûlé.

Tandis qu'il agonise, irradié à son tour par les armes effrayantes de ceux qui ont vaincu, Gordon Koum, ventriloque, prête ses voix à un rouge-gorge mazouté et à une poupée grotesque trouvés dans les débris. Pour distraire les morts, il raconte des histoires sur les disparus, des récits pour sortir ces petits de l'anonymat, pour conserver des traces de la mémoire collective et mettre à distance l'horreur du réel. Dans une atmosphère crépusculaire, ces histoires cruelles prennent parfois une tournure absurde ou risible mais elles sont toujours profondément émouvantes, par ce qui s'en dégage : une immense empathie et une très grande solitude face à la puissance, à la propagande et à une inhumanité désespérément écrasante.

Le temps semble s'étirer dans les narrats de Gordon Koum, récits d'après la défaite, posthistoires qui ont l'air de rejoindre la préhistoire, récits d'hommes terrés, de gueux qui survivent dans les cavernes à l'oppression de la barbarie dominante, écrasés par une guerre permanente qu'ils subissent sans comprendre.

Un choc noir.

«J'avais rêvé que sur le champ de foire, déguisée en femme malpropre, une magicienne anarchiste s'adressait à moi, me prenait la main et m'attirait dans des broussailles pour m'embrasser. Une fois les embrassades terminées, elle me confiait une peau de belette qu'il fallait agiter sept fois quarante-neuf minutes sous la lune si l'on voulait rejoindre la révolution mondiale et assister enfin à l'avènement d'une civilisation égalitariste. Ce rêve m'avait fait forte impression. de ma vie je n'avais étreint ni même rencontré de chamane anarchiste, du moins en songe.»

Volodine, porte-parole de ses écrivains hétéronymes dont Lutz Bassmann, est vraiment lui aussi un ventriloque de génie.

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Roman hallucinant et halluciné, oeuvre dédiée aux faibles, aux victimes, aux lâches, aux survivants malgré eux, à ceux qui se taisent et ne savent même pas s'ils n'en pensent pas moins, Les aigles puent est tout simplement l'Apocalypse en livre.
La fin du monde est moche, grise et dégueulasse.
Les survivants sont scindés. D'une part les vainqueurs, ceux dont le physique s'est modifié en bien. D'autre part, les perdants, ceux qui ont décrépi. Ceux qui ont tout perdu. Même l'envie. Même l'espoir. C'est cette catégorie là que Bassmann alias Volodine nous décrit de l'intérieur.
Ils ont un semblant d'humanité. Ils tentent de se faire entendre. Mais ils ne peuvent rien. Ils sont devenus, par la force des choses, des animaux de foire dégénérés. Ils ont leurs propres règles de vie, qu'ils ne respectent pas forcément.
Ils sont cons, ils sont moches, ils puent... Mais ils vivent.
Et quand ils meurent, quelle différence ?
Un livre puissant, bref mais rageur. Sans début, sans fin. de toute façon, la fin est déjà là, et on y passera tous...
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La clôture de tous les récits. Avec autour aucun barbelés, seulement la certitude de la fin et quelques aigles qui rodent. Voici l'itinéraire d'un suicide, celui de Gordon Koum allant se perdre dans l'Hiroshima local quelques heures après l'irradiation pour mourir selon toute certitude auprès de sa femme et de ses trois enfants liquéfiés sur place lors de l'explosion ; et au long de cette agonie des courts récits en hommage et pour divertir les morts. Non pas une « politesse du désespoir » bien plutôt de l'ironie du désastre, le miel des vaincus et l'assurance de la sublimation des mémoires des morts pour la Grande Cause.

Bassmann excelle à oblitérer la réalité pour lui substituer l'illusion du despotisme. Et bien sûr le tour de maître est que cette caricature d'une uchronie où justement, les « Maîtres » exterminent d'obscures passionarias et guérilleros de la révolution mondiale et de l'égalitarisme, n'est pas pour autant une apologie de celle-ci. Au contraire même. Ici Bassmann en fait, à mon avis, la preuve à travers l'humour, clef de voûte de tout l'ouvrage, utilisé non comme moyen de reprendre la main sur la fatalité, mais pour en accroître l'apparence tyrannique : la lueur aperçue dans le rire n'est ici pas une lueur d'espoir mais l'éclat métallique d'une bombe. Ce processus de dérision mine ainsi profondément la confiance des présupposés inconscient du lecteur humaniste malgré lui, voulant que l'humour soit salvateur, que l'injustice soit punie, que la martyrologie soit dualiste (les bons / les méchants).

Certains seraient tentés d'intenter alors un procès en nihilisme à ce livre, accusant ces récits d'être mortifères, ne voyant que le mal l'atrocité, les accusant de n'être des complaisances d'utopiste qui fouaille sa plaie : ce serait oublier la force réelle de ces écrits qui sont chacun, comme Kafka l'écrivait, « un coup de hache dans une mer gelée ». Et ces délires carcéraux, paranoïdes, sont peut-être finalement nécessaires pour nous réveiller de la vaccine du système dans lequel l'on vit, et que l'on entretient, les yeux ouverts sur ses horreurs.

Bassmann nous fait écarquiller les yeux face au malheur, ils se mettent même à crisser un peu. le cauchemar est là. Plus que toute avalanche d'image, il est là dans l'éclatant et l'invraisemblable litanie des histoires des meurtriers et des victimes mais aussi dans cette douce-amère situation, comique et ignoble, où le narrateur mourant dans les décombres, dans une poix bitumeuse, fait parler par ventriloquie dans ses derniers efforts un rouge-gorge lui aussi englouti par l'étrange substance noire et une poupée golliwog…

Il y a du conte, mais sans moralité, plutôt a-moraux qu'immoraux, juste des cauchemars pour rire. Car nous sommes vivants et ils sont morts… Koum, Bassmann, Volodine, tous les narrateurs du post-exotisme le savent : leurs héros, que dis-je, leurs figures de suie, leurs anges mineurs, sont tous morts. Leurs grimaces sont-elles de défiance, d'horreur ou d'humour ? le doute subsiste toujours. Probablement que ces trois états se superposent, tout comme l'état de vie et de non-vie des personnages des fictions où ils évoluent.

C'est là tout l'art du paradoxe qui fait le sel de l'ambiguïté des mondes malaisés, inidentifiables du post-exotisme.

Bassmann nous plonge dans la baignoire d'acide des crimes collectifs du XXe siècle et du XXIe siècle commençant. Et cette leçon nous frappe au ventre. Les aigles puent, oui ces nobles animaux fiers, conquérants et indomptables sont devenus des charognards, puent, se repaissant des chairs humaines, et la littérature pue elle aussi. Normal. On se sent l'estomac soulevé par cette écriture puissante, ces corps, ces souffrances, cette réalité, et lointainement une drôle de poésie. On me dira : références décalées. Je répondrais : tant mieux, je ne voudrais pas finir comme oblat du post-exotisme, d'autres s'en chargent.
Lien : http://lucienraphmaj.wordpre..
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Bon, clairement, je n'ai pas apprécié cet ouvrage mais, à lire les autres critiques faites, je comprends que je ne l'ai pas compris, d'ailleurs je ne l'ai pas fini (ce qui explique peut-être aussi mon incompréhension).
Ces histoires racontées par George aux morts sont intéressantes et, si on veut y voir toutes sortes de résistances, on en perçoit l'intérêt. Mais j'ai trouvé le fil conducteur maigre, je n'ai pas adhéré à cet univers futuriste instable faute de repère : il est très difficile d'identifier la nature même de certains narrateurs (chiens, sacs poubelle, hominidés divers). Je n'ai pas compris cette instabilité permanente qui invite sans cesse à redéfinir le monde dépeint, ses codes, ses habitants. Je n'ai pas non plus apprécié l'humour noire, le rire jaune permanent.
J'essaierai peut-être de le relire plus tard.
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Chant funèbre pour un combattant ventriloque et sa famille, avec rouge-gorge mazouté et golliwog.

Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2017/09/05/note-de-lecture-bis-les-aigles-puent-lutz-bassmann/
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Du goudron et des plumes.

Ce livre est un soleil noir. Un abîme où nul espoir n'est permis. Vous vivez l'agonie de Gordon Koum mais aussi celle de toutes une cohorte de sous-hommes et autres victimes d'un génocide parqués dans des villes servant de camps d'extermination. Un peuple de victimes dont de mystérieux "maîtres" martyrisent les membres.
Gordon Koum agonise en cherchant sa famille sous les décombres gluants. Il va mourir lentement, en racontant des histoires tragi-comiques.
C'est un livre qui marque. Une écriture sèche, précise qui colle au plus près de l'indicible et de l'horreur.
L'horrible XXème siècle de la nuit et du brouillard est ici condensé tout en annonçant (peut-être) un immonde avenir.
Un grand livre.
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Une écriture sublime mais un sujet bien trop sombre à mon goût.
Lien : http://madimado.com/2011/10/..
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Un très bon volodine à mon sens où l'on retrouve les prénoms qui semblent résumer une vie, l'absence de frontière entre le règne animal et humain, la fin des temps, le totalitarisme et cette nostalgie soviétique désespérée. à lire !
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Toujours poignants les romans de Volodine, alias Bassman alias Draegger. Les aigles puent est un roman, un témoignage de l'après société que l'on ne peut pas lâcher comme ça. Peut-être peut-on s'y reconnaître? Nous, bientôt, bien plus tôt qu'on ne le pense, tels des bêtes sans morale, sans mémoire, sans culture, avec une petite conscience, une toute petites conscience qui nous différencie à peine des animaux..
Ces romans ne sont pas gais, pas "faciles" à lire, mais ils sont, je dirais .... hum, indispensables à la lire.
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