Je traînais pas déchéance et mon hébétude dans des endroits détestables. Tout était faux, jusqu'à ma souffrance. J'ai commencé à pleurer tant que je pus : mes sanglots n'avaient ni queue ni tête.
Le vide continuait. Un idiot qui s'alcoolise et qui pleure, je devenais cela risiblement. Pour échapper au sentiment d'être un déchet oublié le seul remède était de boire alcool sur alcool. J'avais l'espoir de venir à bout de ma santé, peut-être même au bout d'une vie sans raison d'être. J'imaginais que l'alcool me tuerait mais je n'avais pas d'idée précise. Je continuerai peut-être à boire, alors je mourrais ; ou je ne boirai plus... Pour l'instant, rien n'avait d'importance.
Il y avait en bas une partie de rocher en surplomb. Si je n'avais, d'un coup de pied, arrêté ce glissement, nous serions tombés dans la nuit ; et j'aurais pu croire, émerveillé, que nous tombions dans le vide du ciel.
[ Incipit ]
Dans un bouge de quartier de Londres, dans un lieu hétéroclite des plus sales, au sous-sol, Dirty était ivre. Elle l'était au dernier degré, j'étais près d'elle (ma main avait encore un pansement, suite d'une blessure de verre cassé). Ce jour-là, Dirty avait une robe du soir somptueuse (mais j'étais mal rasé, les cheveux en désordre). Elle étirait ses longues jambes, entrée dans une convulsion violente. Le bouge était plein d'hommes dont les yeux devenaient très sinistres. Ces yeux d'hommes troublés faisaient penser à des cigares éteints. Dirty étreignait ses cuisses nues à deux mains. Elle gémissait en mordant un rideau sale. Elle était aussi saoule qu'elle était belle : elle roulait des yeux ronds et furibonds en fixant la lumière du gaz.
- Qu'y a-t-il ? cria-t-elle.
En même temps. elle sursauta, semblable à un canon qui tire dans un nuage de poussière. Les yeux sortis, comme un épouvantail, elle eut un flot de larmes.
- Troppmann ! cria-t-elle à nouveau.
Elle me regardait en ouvrant des yeux de plus en plus grands. De ses longues mains sales elle caressa ma tête de blessé. Mon front était humide de fièvre. Elle pleurait comme on vomit, avec une folle supplication. Sa chevelure, tant elle sanglotait, fut trempée de larmes.
Elle devint hideuse, je compris que j'aimais en elle ce violent mouvement.Ce que j'aimais en elle était sa haine, j'aimais sa laideur imprévue, la laideur affreuse que la haine donnait à ses traits.
La terre sous ce corps, était ouverte comme une tombe, son ventre s'ouvrit à moi comme une tombe fraiche.Nous étions frappés de stupeur, faisant l'amour au dessus d'un cimetière étoilé.Chacune des lumières annonçait un squelette dans une tombe, elles formaient ainsi un ciel vacillant, aussi trouble que les mouvements de nos corps mêlés.
Je n'insinue pas qu'un sursaut de rage ou que l'épreuve de la souffrance assurent seuls aux récits leur pouvoir de révélation;j'en ai parlé ici pour arriver à dire qu'un tourment qui me rongerait est seul à l'origine des monstrueuses anomalies du Bleu du ciel; ces anomalies fondent Le Bleu du ciel.