Mon invention était bien plus puissante qu’une simple Machine transtemporelle : c’était une Machine à changer l’Histoire, un engin destructeur de mondes !
Morlocks avaient effectivement triomphé de leurs faiblesses congénitales ; ils avaient écarté l’héritage de la bête brute – que nous leur avions nous-mêmes légué – et avaient ainsi atteint une stabilité et des capacités inimaginables pour un homme de 1891 : un homme comme moi, qui avais grandi dans un monde quotidiennement déchiré par la guerre, la cupidité et l’incompétence.
L’explication de ce paradoxe est que la religion fournit aux hommes un but pour lequel se battre.
J’étais l’assassin du futur : j’avais assumé plus de pouvoirs que Dieu lui-même (s’il faut en croire saint Thomas d’Aquin). En faussant le mécanisme de l’Histoire, j’avais effacé des milliards de vies à naître — des vies qui n’accèderaient jamais à l’existence.
(Le Livre de Poche, p.107)
Les hommes envisageaient la guerre — la prochaine au moins! — comme une grand nettoyage, comme la dernière des guerres qu’on eût jamais besoin de faire. Mais il n’en était pas ainsi., j’en avait la preuve oui les yeux : les hommes se faisaient la guerre à cause de l’héritage que la brute avait laissé en eux, et toute justification n’était que rationalisation fournie par nos cerveaux hypertrophiés.
(Le Livre de Poche, p.129)
Peu de choses peuvent perturber un homme qui a l’occasion de travailler de ses mains.
Dites-moi, dis-je d’un ton badin, lequel de vos talents vous a valu d’être chargé de ma personne ? Votre expertise en physique ou vos aptitudes de nourrice ?
J’imaginai que sa bouche étroite, aux crocs noirs, s’étira en un sourire.
Puis la vérité se fit dans mon esprit et j’éprouvai une cuisante humiliation rien qu’en y pensant. Moi qui suis un homme éminent de mon époque, j’ai été confié aux soins d’un individu plus qualifié pour la surveillance des enfants !
En plus des rudiments d’un comportement civilisé, on y inculquait aux jeunes un talent essentiel : la capacité d’apprendre. C’était comme si un écolier du dix-neuvième siècle – au lieu de s’être bourré le crâne avec une somme d’inepties grecques et latines et d’obscurs théorèmes de géométrie – savait se concentrer, se servir des bibliothèques, avait appris les mécanismes de l’assimilation des connaissances et, avant tout, comment penser. Après quoi, l’acquisition de tout savoir spécifique dépendait des besoins de la tâche assignée et du zèle de l’individu.
J’eus envie de contredire cet Utopiste – même ici, au cœur de son Utopie !
On pourrait imaginer que dans tout conflit entre humains rationnels et humains religieux ce soient les rationnels qui triomphent. Après tout, c’est la rationalité qui a inventé la poudre à canon ! Et pourtant – du moins jusqu’à notre dix-neuvième siècle – c’est la tendance religieuse qui a généralement triomphé, et la sélection naturelle a fonctionné, nous donnant une population de moutons portés sur la religion, capables – m’a-t-il parfois semblé – de se laisser séduire par le premier prédicateur à la langue bien pendue.